Angela Bulloch

par Guillaume Lasserre

Angela Bulloch – Paradigme perpendiculaire 

Musée d’arts de Nantes

du 13 mai au 30 août 2022

Commissariat de Katell Jaffres

L’invitation faite à l’artiste interdisciplinaire canadienne Angela Bulloch (née en 1966 à Rainy River, Ontario, vit et travaille à Berlin) s’inscrit dans la volonté du musée d’arts de Nantes de laisser les plasticiens s’emparer du patio central de l’institution pour en faire un lieu en perpétuel mouvement, sans cesse recomposé, et ainsi ramener à travers l’art contemporain le vivant au cœur du musée. Diplômée du Goldsmiths College de Londres où elle est étudiante de 1984 à 1988, et à ce titre affiliée aux « Young British Artists », Bullochadopte depuis le début des années quatre-vingt-dix une pratique sculpturale qui croise lumière, couleur et son en s’appuyant notamment sur une relecture personnelle de l’usage des principes établis par l’art conceptuel des année soixante. Bien que ses œuvres aient, la plupart du temps, recours à des systèmes automatisés et à des outils numériques, l’artiste invite le public à aborder de manière sensible ses installations dynamiques. Depuis plus de trente ans, elle construit une œuvre entre mathématiques et esthétique qui fait la part belle aux systèmes et à la programmation.

Le point de départ du projet nantais réside dans la conception d’un ciel étoilé qui prolonge la série des « Night sky » initiée par l’artiste à la fin des années 2000 au Salomon R. Guggenheim Museum de New York et à la cathédrale de Bâle. Intitulée « Paradigme perpendiculaire », l’exposition déploie sous le ciel nocturne une forêt de sculptures, augmentée d’un monde virtuel dans lequel évoluent des personnages imaginaires depuis un point de vue extraterrestre. Trois ensembles distincts composent donc cette proposition dont le titre est lui-même une invitation à douter de nos certitudes, plus précisément ici à se désanthropocentrer, l’association des deux mots faisant référence à la révolution copernicienne d’une part et à l’humain d’autre part, dans sa stature de qui se tient debout sur un axe horizontal, au même titre que les sculptures. « La perpendicularité représente une position relative, par exemple celle des personnes sur une planète, celle des lignes en géométrie ou même, comme dans le titre de l’exposition, celle des sculptures dans une exposition » précise Angela Bulloch. Les œuvres lumineuses qui constituent la voute céleste, grands carrés arborant chacun de multiples points lumineux, composent « Night SkyFirmamental Square » élaboré avec l’aide d’un programme de cartographie 3D. Quelques-uns sont présentés au mur, à la manière d’un tableau. L’œuvre monumentale reproduit une vue de la position des étoiles dans le ciel de Nantes datée du 21 juin 2021, jour du solstice d’été.

Angela Bulloch – Paradigme perpendiculaire. Vue de l’exposition © Musée d’arts de Nantes – C. Clos

La forêt de sculptures occupe le sol du patio en proposant un cheminement multisensoriel qui répond au ciel étoilé. Formées de volumes géométriques produits de manière numérique, les « Stacks »colonnes de hauteur variable, peintes ou proposant un enchainement de lumières colorées, semblent fusionner à la perfection couleur et matière dans un rapport d’illusion optique exerçant une fascination qui participe pleinement à l’expérience sensible proposée ici. Augmentée par la présence de créations sonores, l’ensemble forme un paysage à la fois virtuel, à la faveur d’une animation 3D en double projection produite spécifiquement et diffusée sur les murs latéraux qui ferment les galeries encadrant le patio, et réel, dans lequel chacun est renvoyé à la place qu’il occupe sur terre.

L’art d’Angela Bulloch se situe à la croisée de la création plastique, la culture populaire et le domaine scientifique. La question de la perception revêt une dimension importante dans son travail. « Percevoir exige, et même requiert que les visiteurs soient témoins et participent à lasituation ; en d’autres termes, le public est invité à percevoir, en observant et donc en participant » confie l’artiste. « Les regardeurs font ainsi partie de l’œuvre, ce qui lui confère une dimension additionnelle » poursuit-elle. « J’ai conçu une exposition qui comprend des peintures murales, des sculptures, des installations, et j’ai considéré le public qui les voit comme faisant partie du projet ». À Nantes, « Paradigme perpendiculaire » invite à une expérience sensorielle pour mieux interroger notre capacité à redéfinir les points de vue et la nécessité actuelle de reconsidérer les concepts et les croyances établis. Comme le rappelle très justement Mieke Bal dans le catalogue de l’exposition, le travail de Bulloch ne joue pas sur l’implication émotionnelle et ne peut donc être qualifié d’interactif. L’art cependant ne laisse jamais indifférent et les nombreuses questions que pose l’observation du travail artistique ne quittent plus celui qui en est assailli. A l’entrée du patio, la sculpture « Speaker module : Emerald » (2017) scande le temps à la manière d’une horloge. Les gestes d’Angela Bullochsont autant de mises en perspective comme l’énigmatique « We don’t know what we don’tknow » (« Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas ») qu’elle a choisi de nommer ainsi afin que nous n’oubliions pas les éléments que nous ne comprenons pas ou que nous ne voyons pas.

Image mise en avant : Angela Bulloch – Paradigme perpendiculaire. Vue de l’exposition © Musée d’arts de Nantes – C. Clos


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