Tania Mouraud

par Mathilde Roman

Ballade au coeur d’une forêt obscure : « Roaming, Borderland » de Tania Mouraud

par Mathilde Roman

Le Musée de la Chasse et de la Nature à Paris présente actuellement une exposition issue de la résidence de Tania Mouraud dans le domaine de Bel-Val, dans les Ardennes, ancien domaine de chasse des fondateurs du musée. Avec l’installation Roaming,Tania Mouraud nous plonge dans l’univers onirique de la forêt.

Dès l’entrée, un son épais et sourd immerge le spectateur dans une atmosphère sombre et inquiétante. Des vidéos sont projetées dans différents recoins de l’espace, guidant les pas par leur luminosité intermittente. Tournées en pleine nuit, les images s’enfoncent dans la forêt sur les pas des chasseurs. L’un d’eux avance tranquillement, sa silhouette filmée de dos incandescente par l’effet du « nightshot ». Une immersion qui affirme de suite le parti-pris des émotions intimes que génère l’imaginaire de la forêt la nuit. A côté, un plan fixe rapproché nous offre déjà l’objet de sa quête: un sanglier dont la masse noire vient s’écrouler au sol, heureusement sans le bruit familier du coup de fusil. Dans un ralenti qui accentue la force esthétique des images, le sanglier se frotte sur le sol. Son mouvement puissant, ponctué par le balancement de la queue, a un grand pouvoir de fascination. Cette rencontre plus que probable dans une forêt française a pourtant des accents irréels. Le son, très présent et pénétrant, participe largement à la perturbation sensorielle de Roaming. Derrière la couche dense et confuse, l’oreille perçoit peu à peu des bruits en écho à la forêt : gouttes d’eau, bruissement de feuillages, hullulement lointains. Ils s’imposent plus clairement face à la projection principale où une vision fragmentée, plus violente par le recours à l’accélération des rythmes et aux ruptures de la trame visuelle, joue avec l’image d’une cabane de chasseurs. Cet édifice sommaire construit en hauteur est traité comme un motif géométrique, saisi dans ses jeux de lignes entrecroisées. Les échafaudages montés dans l’exposition, supports bien encombrants pour le matériel de projection, dialoguent très clairement avec ces images. Une dernière projection au fond de la pièce montre un plan plus stable sur des arbres dans un sous-bois, dans une composition qui renoue avec une vision plus apaisée. Pourtant, derrière la forme posée des arbres, des branches bougent un court instant, dévoilant un mouvement à la provenance mystérieuse: rafale de vent? bête tapie dans l’obscurité? L’imaginaire est prompt à s’emparer de ce genre d’apparitions.
Tania Mouraud capte avec justesse les frissons de la forêt, restituant ainsi l’oppression qui accompagne toute traversée noctune de ces espaces réservés à l’animal. L’absence de couleur des images uniformise l’ensemble et accentue aussi le sentiment d’inquiétude, mettant le regard au défi d’identifier tout ce qui est présent dans le cadre, dans les fourrés de l’obscurité.

Lorsque l’on s’installe dans Roaming, dans le cadre si calme du Musée de la Chasse et de la Nature, on goûte au charme des ballades nocturnes des chasseurs, fait d’un mélange d’inquiétude et d’une sensibilité aux aguets. Mais l’on se réjouit que ce soit l’objectif de la caméra que Tania Mouraud braque sur le sanglier, et l’on préfère suivre le chasseur dans sa marche tranquille, le fusil baissé, dans le temps de l’approche et non pas dans celui de la mise en joue.

Dans son texte écrit à l’occasion de l’exposition, Gérard Wajcman parle de l’expérience de frustration vécue face à l’animal, lorsque que l’on comprend le peu de cas que celui-ci, dans sa vie sauvage, fait de l’homme. Le titre « Les animaux ne nous veulent pas de bien » est l’expression d’une déception éprouvée face au monde animal qui répond par l’indifférence à notre fascination. Le texte s’inscrit avec justesse dans la proximité de l’installation de Tania Mouraud : on pénètre avec curiosité et délectation dans cette vision de la forêt, mais on se retire ensuite sur la pointe des pieds, soucieux de ne pas souiller un territoire qu fait si peu cas de nous. Le spectateur habitué à être choyé dans son désir de projection et d’identification reste ici à distance et quitte les lieux en sachant bien qu’ils ne sont pas siens.

Roaming, Boderland, Tania Mouraud
Musée de la Chasse et de la Nature
18 novembre-22 février
www.chassenature.org

Les animaux ne nous veulent pas de bien, texte de Gérard Wajcman, illustrations de Tania Mouraud, éditions Gallimard, 2008, 12 euros.

roaming

Roaming, de Tania Mouraud au Musée de la Chasse et de la Nature


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