Mika Rottenberg
Mika Rottenberg, artiste argentine vivant aux Etats-unis, présente actuellement sa première exposition monographique à la Maison Rouge. L’occasion de découvrir une œuvre étonnante, qui met en scène le réel dans ses manifestations excentriques et construit des visions fantasmagoriques.
La dynamique des énergies est au coeur du travail de Mika Rottenberg. Le processus de formation du vivant, de création perpétuelle, est observé à partir de ses formes limites, de ses excès. Mika Rottenberg recherche les corps qui se déploient en dehors des normes et des critères. Que ces phénomènes soient maîtrisés ou pas, ils ont tous en commun d’être non seulement acceptés, mais aussi valorisés en force de travail. Les femmes avec qui Mika Rottenberg collabore font usage de leur anormalité en proposant leurs services pour des films, pour des séances photographiques, vendant leur différence par des stratégies publicitaires où internet est central. Mais la monstruosité qui est la leur a pour spécificité d’être toujours liée à un développement excessif, à une production corporelle débridée, que ce soit par le fait de la nature ou de la volonté individuelle. Les femmes filmées ont des cheveux ou des ongles démesurément longs, mesurent une taille gigantesque, sont énormes, ou ont développées une musculature exceptionnelle.
Mika Rottenberg ne se contente pas de filmer les personnes qu’elle rencontre. Ces femmes ont chez elle des environnements de vie conçus à leur mesure, et l’artiste construit pour sa part des espaces fictionnels qui distordent le réel, par un jeu d’échos et de ruptures. Dans (Big) Dough (2005-2009) par exemple, des femmes travaillent à la chaîne, isolées dans des salles minuscules qui sont toutes reliées par des trous qui leur servent pour communiquer. Un aspect très intéressant et récurent dans cette organisation est la verticalité : les espaces que Mika Rottenberg met en scène et dans lesquels les femmes produisent inversent les logiques habituelles de la chaîne de travail horizontale. Cette perturbation lui permet de soustraire aux regards une vision complète du processus, de cloisonner les étapes, d’accentuer l’isolement et de faire de la transmission un acte où ce que l’on produit est souvent jeté. Dans (Big) Dough les femmes transforment une matière première presque naturelle, des ongles rouges vernis, en une pâte informe conditionnée en petites quantités. Chaque étape est parfaitement orchestrée dans un univers bricolé, ingénieux mais profondément absurde. La pâte s’étire en un long boyau d’un étage à un autre, forme visqueuse mallaxée avec force, tandis qu’une des femmes s’applique à respirer un parterre de fleurs artificielles, entraînant une réaction naturelle qui la fait transpirer à grosses gouttes et parfumer ainsi la pâte. Chaque tâche crée un bruitage spécifique, mélange de mécanique et d’humain, et donne à voir l’association d’énergies naturelles et artificielles. Comme dans l’ensemble du travail de Mika Rottenberg, tout se fait quasiment sans paroles, à l’exception de quelques codes liés à l’organisation, comme lorsque l’une d’elle crie « I see it » en voyant descendre la pâte de son plafond. Mais pour le reste, aucun bavardage. Chacune est isolée, et la communication se limite à la participation à une réalisation collective.
L’univers de Mika Rottenberg est très féminin par les personnages qu’elle met en scène et les phénomènes qu’elle prend comme point de départ. Les ongles et les cheveux longs sont des attributs de la féminité et ses installations expriment leur pouvoir de fascination et les projections dont ils sont les supports. Les oeuvres de Mika Rottenberg sont de drôles de dérives oniriques où se mêlent un regard caustique sur les sociétés capitalistes et une curiosité pour les stratégies les plus étonnantes de résistance individuelle. De l’observation d’une caissière isolée derrière ses ongles aux décors exotiques naît ainsi la construction d’un récit où l’ongle devient la matière première d’une organisation économique complètement délirante. En tant que spectateur, on se laisse happer par ces étranges histoires servies par une grande maîtrise de l’image et par des installations qui jouent de l’immersion. Chaque vidéo est présentée dans un dispositif sculptural qui prolonge la fiction dans l’espace réel, perturbant les repères et incitant le spectateur à éprouver physiquement la sensation représentée. Le rapport à l’espace est essentiel dans l’oeuvre de Mika Rottenberg: un enclos labyrinthique dans Cheese, un camion-usine dans Tropical Breeze, un module de pièces dans (Big) Dough. A chaque fois le corps est d’une certaine manière enfermé, sollicité et exploité dans ses excrétions. On en sort un peu décontenancé, ne sachant plus très bien où situer ces espaces hybrides qui empruntent au réel et nous en dévoilent des images au statut ambigü.
Mathilde Roman
Mika Rottenberg, 18 février au 3 mai 2009
La maison rouge
fondation antoine de galbert
10 bd de la bastille – 75012 Paris
Une exposition de Mika Rottenberg est également présentée à la galerie Laurent Godin du 18 février au 11 avril.
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- Du même auteur : Vidéothèque éphémère, Jeu de Paume, LOOP, Tania Mouraud, Didier Marcel à Monaco,
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