Didier Marcel à Monaco

par Mathilde Roman

De l’art de l’écrin : Didier Marcel à Monaco

par Mathilde Roman

Le prix international de l’art contemporain de la fondation Prince Pierre de Monaco a été cette année attribué à Didier Marcel pour sa pièce « Sans titre (Labours) » (2006). L’occasion pour cet artiste de montrer l’œuvre primée mais également de profiter d’une production spécifique pour une exposition à Monaco du 8 octobre au 16 novembre 2008.

La salle d’exposition du quai Antoine Ier à Monaco est un espace difficile, vaste mais contraignant. Plutôt que de s’y adapter tant bien que mal, Didier Marcel l’a remodelé entièrement en y emboîtant un nouvel espace, plus étroit, mais parfaitement ajusté aux pièces présentées. Il est habituel pour Didier Marcel de s’emparer des conditions de perception de ses œuvres, jouant sur le renversement de perspectives, prenant à parti le contexte de l’installation. Mais l’impression qui domine cette fois est celle d’un véritable écrin. Dès l’entrée, on se retrouve au centre de l’alignement de trois sculptures, happé par leur blancheur de velour (« Phoenix Canariensis, Jardins de la Petite Afrique », 2008). Réalisées à partir de l’empreinte d’un palmier du jardin face au Casino à Monaco, ces trois troncs à échelle 1 sont placés à l’horizontale, flottant de manière aérienne. Le processus de moulage permet de retrouver le détail des formes, d’installer le regard dans le temps long de la croissance d’un arbre. La légèreté du dispositif de monstration (des socles fins en acier) crée un grand décalage entre la massivité des palmiers et la discrétion de leur tenue dans l’espace. Cette nouvelle pièce s’inscrit dans une recherche que Didier Marcel mène depuis plusieures années à partir de l’empreinte d’arbres de différentes espèces, prélevant dans la nature des motifs interprétés à l’aune du géométrique. Mais ici l’emprise du lieu est si forte qu’elle accapare avant tout les impressions générées par les sculptures.

Labours

Sans titre (Labours), 2006, vue de l'exposition à la Fondation Prince Pierre, photo Jérôme Schlomoff

Car en face, dans le prolongement des troncs, Didier Marcel a ouvert l’espace sur l’extérieur par des fenêtres panoramiques cadrant parfaitement l’imaginaire associé à Monaco: une accumulation excessive d’immeubles adossés sur un flanc de colline. Un sentiment contrasté se dégage de cette mise en perspective, dans le décalage entre l’atmosphère luxueuse, sereine et aérée des troncs et l’entremêlement cahotique des immeubles monégasques. Evidemment l’écrin réalisé par Didier Marcel prolonge aussi les multiples espaces de grand luxe qu’offre la principauté, et l’expérience esthétique que l’on vit en déambulant entre ces troncs, en inscrivant sa propre image dans les embouts réfléchissants, affirme ses similitudes avec les vitrines que l’on croise dans Monaco. Didier Marcel n’a pas cherché à intervenir en se démarquant de l’atmosphère du lieu. Cette pièce témoigne au contraire d’une forte coïncidence entre l’univers plastique de cet artiste et l’environnement de l’exposition. Il a voulu faire entrer la lumière et l’image de la ville à la rencontre de ses questionnements formels. Le souhait de s’inscrire dans le contexte l’amène même à affirmer « que le contenant a déterminé le contenu », puisque le projet était avant tout pour lui de prendre possession de l’espace en assumant cette localisation symboliquement très chargée. La vue sur Monaco devient « frise ornementale », la forme palmier est renversée pour générer un module duplicable dans des matériaux léchés et fascinants.

vue de l'exposition à la Fondation Prince Pierre de Monaco

vue de l'exposition, photo Jérôme Schlomoff

Dans une alcôve encastrée au verso de cette pièce, l’œuvre primée fait pendant. De la blancheur immaculée on passe à la noirceur terreuse, de l’horizontalité à la verticalité, de la large posture panoramique à la perspective classique d’un tableau mis sous cadre dans un espace fermé. Le regard plonge dans le relief d’un champ labouré dont la forme prélevée offre une vision décalée, profondément expressive, d’une activité agricole mécanisée. Dans l’écrin de l’exposition, cette pièce en appelle à une réflexion amusée sur la muséification d’un travail de la terre qui n’est plus visible depuis longtemps sur le territoire minéral de la principauté. Réifié, encadré, sublimé aussi sans doute, ce morceau de terre se laisse bien plus travailler par l’imaginaire que ce que l’on découvre par les fenêtres.

vue de l'exposition

vue de l'exposition, photo Jérôme Schlomoff


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