r e v i e w s

Raphaël Zarka, Riding Modern Art

par Raphael Brunel

BPS22, Charleroi, 2.09.2017—7.01.2018

Du travail de Raphaël Zarka, on connaît son penchant pour les mathématiques et le skateboard, qu’il a lui-même longtemps pratiqué et auquel il a consacré plusieurs ouvrages de référence. Depuis une quinzaine d’années, il explore, via un principe de réplique ou de ce qu’on pourrait appeler d’image en volume, l’idée d’une  « sculpture documentaire » innervée et informée par l’histoire des sciences et de la géométrie et dont l’esthétique témoigne d’une filiation avec le minimalisme. De son propre aveu et à la manière d’un archéologue, il découvre des sculptures plus qu’il ne les invente.

On retrouve dans l’exposition qu’il présente au BPS22, dont il occupe tout le rez-de-chaussée, les principales préoccupations qui animent son travail, ici habitées par des enjeux revisités ou, en tout cas, par des logiques rendues pleinement opérantes. Il y présente notamment l’échantillon le plus important à ce jour de la série Riding Modern Art, une collection d’images récupérées auprès de photographes spécialisés dans lesquelles des skateurs réalisent des figures sur des œuvres d’art public associées au modernisme. Ce qui intéresse Zarka ici, c’est la relation singulière à l’art qu’induit une telle appropriation, les considérations esthétiques étant supplantées par la compréhension et l’expérience de la dynamique et des mouvements offerts par une œuvre devenue praticable au même titre qu’un muret ou une rampe d’escalier.

L’installation Paving Space transforme quant à elle l’imposante halle du BPS22 en véritable skatepark, en un spot brouillant les frontières qui séparent le musée et l’espace public. Le lieu est ponctué par un ensemble de sculptures en acier Corten inspirées par un module conçu par le mathématicien et cristallographe allemand Arthur Moritz Schoenflies dont l’assemblage lui permet de se déployer dans l’espace sans laisser de vide. Si on avait déjà pu voir ces sculptures, alors réalisées en chêne, notamment aux Abattoirs à Toulouse, l’installation trouve ici sa pleine mesure en accueillant pendant toute la durée de l’exposition des skateurs venus se confronter à leurs pans particulièrement inclinés. Le display de Zarka prend davantage en compte le mouvement et les besoins des skateurs, en matière d’élan par exemple, qu’il ne relève de critères esthétiques ou d’enjeux de point de vue – celui du spectateur étant largement déplacé en surplomb de la scène, observant depuis la mezzanine ce ballet incessant. Si les skateurs deviennent une sorte de public actif et expérimenté, la proposition ne relève en aucun cas du registre de la performance ou des logiques de l’esthétique relationnelle. Là où les photos de Riding Modern Art venaient figer, dans un fantasme d’instant décisif, une forme de virtuosité, Paving Space témoigne de tactiques d’approche de l’œuvre et devient le terrain d’essais sans cesse recommencés, avec sa part d’échec et de réussite. Avec cette installation, Zarka passe ainsi de la « sculpture documentaire » à la « sculpture instrumentale », qui fonctionne à ses yeux comme une partition que les skateurs viennent déchiffrer et interpréter.

(Image en une : Erik Zajimović dans Paving Space de Raphaël Zarka, BPS22, 2017. Photo : Leslie Artamonow.)