Elad Lassry
Le Plateau-Frac Ile-de-France, Paris
20.09—9.12.2018
Du travail d’Elad Lassry, originaire de Tel-Aviv et installé de longue date à Los Angeles, nous connaissons principalement les photographies d’objets du quotidien, d’aliments, de chats ou de mannequins. Autant de portraits et de natures mortes dont le registre visuel évoque la banalité de la promotion commerciale mais qui laissent planer un doute sur leur origine et leur statut. C’est que, pour l’artiste, ces images sont des objets. Les fonds colorés et contrastés lui servant d’arrière-plans s’étendent au cadre tandis que celui-ci se voit greffer ici et là des matériaux additionnels qui redoublent l’image ou entrent en conflit avec elle. Elad Lassry relie ainsi la représentation et son support de présentation, la reproduction et le tangible, la surface et le volume et tente par là d’interroger la nature et les limites de l’image photographique, de mettre en faillite les habitudes et conventions de regard qu’elle implique.
Aussi parcellaire soit-il, ce rapide rappel permet d’introduire son exposition monographique au Plateau – la première dans une institution française – qui prolonge ses réflexions antérieures en même temps qu’elle fait entrer le spectateur dans le vif du sujet en regroupant un ensemble de nouvelles productions. C’est pourtant avec un film tourné en 16 mm et présenté en 2012 à The Kitchen à New York que débute la visite. Les deux séquences – où l’on découvre successivement des œufs s’éparpillant sur une table et des formes d’yeux découpées dans un écran rouge kodachrome et munis d’obturateurs – évoquent autant les prémices du cinéma expérimental que la neutralité des films scientifiques qui se rapprochent pour l’artiste de « la production étatique de films d’information publique ». Plus loin, on croise deux installations réalisées pour l’occasion. La première est constituée d’un ensemble de compresseurs découpés et remplis par ce qui ressemble à des coussins de canapé. Reposant sur un équilibre étrange entre contenant et contenu, plein et vide, mou et dur, il propose ici un geste simple et « non-négociable » qui entre en résonnance avec la vie quotidienne sans que l’on soit totalement en mesure de l’associer à une forme précise. Rassemblant une série de tapis gris, pliés et empilés, la seconde installation joue de la tension entre planéité et tridimensionnalité qui, selon Lassry, est inhérente à l’acte de regarder.
Mais c’est encore avec le médium photographique que cette ambivalence entre l’objet et l’image se révèle la plus structurante. Ce sont ainsi ses « unités », termes qu’il privilégie à celui de photographie pour qualifier ses productions, qui viennent séquencer et distribuer l’espace d’exposition. Caractéristique des choix de présentation de l’artiste, l’accrochage est particulièrement tendu et aéré, reposant sur l’espacement et l’alignement des cadres de format identique dont les dimensions modestes (40 x 30 cm) sont bien loin des aspirations monumentales de nombre de photographes contemporains. Si les images appartiennent à des séries, elles n’en conservent pas moins leur propre autonomie. On y découvre un shooting de mode réalisé à la chambre pour lequel trois mannequins endossent un look d’une autre époque ; l’ambiance vibrante et mystérieuse d’une entreprise de corail artificiel pour aquarium ; des fixations et chaussures de ski issues de négatifs d’un catalogue de vente des années 1950 et rehaussées de peinture blanche. Une dernière série opère le rapprochement entre des tirages argentiques, des reproductions prélevées dans des ouvrages imprimés et des éléments métalliques insérés dans le cadre. Parlant de collision plutôt que d’association, l’artiste convoque ici différents registres et fonctions de l’image reproductible (commercial, documentaire, archivable, etc.) tout en mettant en perspective les propriétés techniques et la production industrielle qui ont permis sa démocratisation.
Avec leur air de déjà-vu, les œuvres d’Elad Lassry ne sont cependant jamais parfaitement ce qu’elles semblent paraître. Bien que parfois hermétique, l’artiste ne cesse d’interroger la nature flexible et versatile d’un médium aussi séduisant que trouble, auquel on ne peut tout à fait faire confiance. Qu’en est-il dès lors à l’ère numérique où les images se sont émancipées de leur propriété physique (la pellicule) au profit d’une constellation de pixels ?
Image en une : Vue de l’exposition Elad Lassry au Plateau. Photo : Martin Argyroglo.
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- Du même auteur : Oriol Vilanova, Raphaël Zarka, Riding Modern Art, Liz Magic Laser, Matteo Rubbi, Caroline Achaintre,
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