r e v i e w s

Oriol Vilanova

par Raphael Brunel

Trois chambres, Le Lait, Albi, 26.01-31.03.2019

En 2012, Oriol Vilanova quitte sa Barcelone natale pour s’installer à Bruxelles. À ses yeux, le principal attrait de la capitale belge réside dans ses marchés aux puces, notamment celui de la Place du Jeu de Balle, où il chine quasi quotidiennement des dizaines de cartes postales, finissant par nouer avec ses fournisseurs de véritables liens de proximité. Cette activité de collecte ne relève pas d’un simple hobby chronophage et compulsif, elle constitue la condition du développement, toujours exponentiel, d’une pratique mêlant également installation, performance et édition. À travers ce mode de communication en apparence désuet à l’heure d’Internet (mais pourtant toujours aussi plébiscité), l’artiste interroge l’histoire de l’image de masse, la circulation des clichés (dans tous les sens du terme), les dispositifs de monstration et de construction du regard. Le musée imaginaire et portatif (ce matériel a l’avantage d’être peu encombrant) d’Oriol Vilanova dessine aujourd’hui une archive de près de soixante-dix mille cartes postales d’époques et d’origines diverses, réparties en cent catégories répondant à des recoupements d’ordre thématique ou technique (mode de prise de vue, couleur de fond choisie, etc.) ou à des associations d’idées. La plus importante d’entre elles regroupe les spécimens sans classement, attendant de futures acquisitions pour composer un éventuel nouvel ensemble.

La présentation de cette collection en constante évolution est modulable selon la configuration des espaces où Vilanova est invité à la déployer. Elle donne généralement lieu à des installations monumentales de plusieurs milliers de cartes postales, toujours montrées à la verticale et espacées avec le même intervalle, comme lors de son exposition à la Fundació Antoni Tàpies en 2017 qui réunissait sur deux étages quinze années de collecte.

S’il avait fait un choix d’accrochage chromatique au M Museum à Louvain, son parti pris est, au Lait, davantage thématique. Inaugurant le nouvel espace du centre d’art, désormais sis à l’Hôtel Rochegude, à quelques encablures de la cathédrale d’Albi, il y expose trois groupes d’environ mille cartes chacun, respectivement répartis dans chaque salle du lieu. Le premier renvoie à la faune sauvage, évocation du bestiaire comme du zoo qui fait écho au jardin public auquel est accolé l’Hôtel Rochegude. Le second répond à l’indécrottable entrée « Venise ». Mais pour cette ville-carte postale dont l’image est inscrite dans l’inconscient collectif, l’artiste a préféré cacher les photographies et ne montrer que le verso des exemplaires sélectionnés. Cette série joue la carte du monochrome, d’où se dégagent les nuances blancs-beiges-jaunies des zones d’écriture, les variations des graphies et des encres utilisées ou les ponctuations colorées des timbres. Le dernier, enfin, plongé dans une salle noire, est intitulé « la nuit comme couleur » et rassemble des vues de monuments célèbres éclairés par de puissantes projections colorées qui redoublent l’effet spectaculaire de ces hauts lieux touristiques. Le résultat grandiloquent de cette accumulation nocturne tranche avec l’aspect plus sobre et conceptuel de « Venise » (on se rend compte à la proximité de ces mots à quel point la formule peut paraître oxymorique).

Ces trois séries ne sont pas accrochées directement aux murs comme Vilanova a pu le faire à Louvain ou à Barcelone mais au sein de structures construites pour l’occasion. L’artiste les appelle des chambres. Architectures dans l’architecture, elles évoquent des dioramas, ces dispositifs d’exposition en forme de boîtes ouvertes à l’intérieur desquels sont reconstitués un événement historique, l’environnement naturel d’une espèce animale ou un épisode religieux. Ces petites scènes de théâtre aux airs de mémorial jouent cependant sur la frustration du visiteur, le laissant au seuil de l’installation et à distance de la plupart des photographies et des textes qui constituent dès lors une seule grande image. Les deux premières chambres sont peintes en rouge brique, clin d’œil à l’imposante cathédrale d’Albi dont l’austérité des façades extérieures contraste avec la richesse des peintures polychromes intérieures. L’artiste a d’ailleurs récupéré l’exemplaire de présentation, étrangement biffé pour en éviter le vol, d’une édition vendue à la cathédrale, qu’il réintègre dans son exposition en tant que document de consultation. La couleur de la dernière chambre coïncide, quant à elle, avec l’obscurité de l’atmosphère de la salle et des cartes présentées.

Enfin, découvre-t-on, dissimulé dans le meuble de l’ancienne bibliothèque de l’Hôtel Rochegude, un lot de cartes postales simplement entassées, sans qu’en soit révélée la teneur, dont le nombre correspond à la totalité de celles présentées dans les trois chambres. Tel un fantôme, ce lot semble suggérer la réserve et le stockage de cette imposante collection, en même temps que son accroissement prochain. Ce geste traduit bien l’économie de moyens qui caractérise la pratique de Vilanova qui a trouvé dans la carte postale, un médium a priori banal, un tremplin critique pour aborder des problématiques aussi bien liées au musée ou au devenir monument et image de certaines données réelles qu’à la valeur d’échange et à la société de consommation.

Image en une : Vue de l’exposition, Centre d’art Le Lait, Albi. Photo Phœbé Meyer.


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