r e v i e w s

Mark Lewis au Grand Café

par François Aubart

Mark Lewis s’est fait connaître à partir des années 1990 pour son « cinéma en morceaux » (cinéma in parts). Reprenant à la grande machine de rêve qu’est Hollywood et par extension l’industrie cinématographique les éléments de son vocabulaire, il les isole et les manipule comme pour en étudier la syntaxe, annulant du même coup leur vocation narrative. Ou, comme le dit Philippe-Alain Michaud, « en s’autonomisant, [les propriétés du médium cinématographique] deviennent le sujet même du film et prennent une valeur purement plastique » .

Pour son exposition au Grand Café, toutes les vidéos présentées, sauf Cinéma Museum, ont trait à la construction des images. Chacune à sa façon relève les mécanismes de composition inhérents au cinéma. Ainsi Rear Projection: Molly Parker exploite la technique de la projection arrière, chère à Hitchcock, aujourd’hui tombée en désuétude suite à l’apparition de l’incrustation. Derrière une actrice immobile dont le visage semble traversé successivement par différentes expressions, un paysage passe de l’été à l’hiver en quelques minutes. Il y est donc affaire de montage, non par la succession temporelle mais par l’assemblage. Nous sommes ici face à une image composite, dont les éléments semblent successivement se repousser et s’épouser, déstabilisant notre place de spectateur et nous poussant à une remise en cause de ce que l’on perçoit. Presque en face est projeté Northumberland qui, d’une toute autre façon, oppose le premier au second plan. C’est un long travelling latéral sur un mur de pierres. Derrière, quelques arbres et un paysage lointain semblent en être indépendants. Passée cette étrange impression, on comprend que ce mouvement de caméra ne mène nulle part. Ce travelling – qui hors du lexique cinématographique signifie voyager – ne nous conduira vers aucune action à venir, nous offrant la seule contemplation mélancolique d’un bout de campagne.
On retrouve ce déploiement du vocabulaire cinématographique à la seule fin de décrire un environnement dans Spadina: Reverse Dolly, Zoom, Nude. Comme son titre l’indique, depuis un plan serré sur quelques branches, la caméra effectue un mouvement arrière pour nous faire découvrir un arbre et son environnement, dont un bâtiment sur lequel elle zoome jusqu’à une fenêtre, au balcon de laquelle se tient une femme nue. Au cours de cette succession de mouvements et de plans, il nous apparaît qu’ils ne forment qu’un ensemble, une seule et même image dans laquelle on circule comme on a appris à le faire, d’un détail vers un autre en passant par son ensemble. L’œil pourtant est ici encore mécanisé et asservi à une technique.
Dans cet ensemble, Cinema Museum, la production la plus récente de l’artiste, se démarque. Principalement parce qu’il s’agit d’un reportage avec un dialogue et une narration, ou tout du moins un défilement temporel. On y découvre la collection frénétique d’un féru de cinéma qui conserve tout ce qui a trait à cet art. Se trouvent là entassés tous types de supports promotionnels, des bobines et des machines de projection, mais aussi des extincteurs, des cendriers, des costumes d’ouvreuses et des parfums que l’on diffusait dans les salles. Si l’entreprise d’exhaustivité produit un vertige, elle nous rappelle également à quel point le cinéma a pu être dès son début une entreprise spectaculaire. Dans ce dédale d’objets, une guide propose une visite à une caméra inconstante qui s’en écarte pour se focaliser sur tout ce qui peut attirer son attention, ses mouvements amples et fermes évoquant certaines scènes mémorables de 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Et si là encore le jeu de référence et de dissection des techniques cinématographique est en action, on y découvre également un regard moins distant, fasciné par la puissance de cet objet qu’est le cinéma.

Mark Lewis au Grand Café, Centre d’art contemporain de Saint-Nazaire
Du 4 octobre au 30 novembre 2008

Spadina: Reverse Dolly, Zoom, Nude, 2006, 35 mm transféré en HDn 2’35 », MUSEION, Bolzano. Courtesy Galerie 108