r e v i e w s

Manifesta 9, biennale européenne d’art contemporain,

par François Aubart

Pour sa neuvième édition, Manifesta s’installe à Genk, dans l’ancien site d’exploitation minière André Dumont abandonné depuis la cessation de son activité en 1987. L’exposition se déroule dans les trois étages du bâtiment en autant de parties chapitrées. En fait, ce contexte et son histoire servent littéralement de socle au projet. On trouve en effet au premier étage une compilation de différents documents sur la vie dans les mines. Des tapis de prière turcs importés par la première génération d’immigrants, une collection de livrets d’ouvriers, des broderies. Tous ces objets forment le portrait d’une masse glorieuse et anonyme à l’image des petites sculptures de Manuel Duràn, ancien mineur qui compose une foule de portraits de petite taille sur différents matériaux de récupération. C’est cette foule grouillante que l’on retrouve dans les fiches de police exhumées pour la première fois ici et dans les documentaires sur les grèves en Belgique. Une foule qui se donne comme une masse sans identité, véritable moteur de cette société industrielle.

Après ce brainstorming géant sur le contexte, viennent, au deuxième étage, les œuvres historiques. Là, c’est le charbon qui tient le premier rôle. Et c’est probablement la partie la plus illustrative de cette exposition, en tout cas sans grande surprise. On y trouve la re-création par Raoul Ubac du fameux plafond de sacs de charbon réalisé par Marcel Duchamp pour l’exposition internationale du surréalisme et des installations de Richard Long, Bernar Venet, David Hammons ou Marcel Broodthaers. Le charbon se fait motif donc et cette nouvelle énergie est encadrée, là encore, d’une masse qui se décline sous différentes figures : mécanisée dans une superbe sélection de films « docu-modernistes » des années trente, révoltée dans la reconstitution par Jeremy Deller et Mike Figgis de la bataille qui opposa, en 1987, les mineurs en grève et les forces de l’ordre à Orgreave, puis, finalement, morte dans Les registres du Grand-Hornu de Christian Boltanski, un mur de boîtes métalliques portant les noms des ouvriers de cette mine.

Mikhail Karikis & Uriel Orlow Sounds from Beneath, 2010-11. Capture vidéo. http://catalog.manifesta9.org/en/karikis-mikhail-uriel-orlow/

Enfin le troisième étage se présente comme une réflexion sur les changements engagés par les mutations du capitalisme à notre ère post-industrielle. Significativement, elle s’ouvre sur une installation monumentale de l’artiste chinois Ni Haifengá : une montagne de plusieurs tonnes de  morceaux de tissus mis au rebut assemblés au cours de l’exposition en une seule grande pièce. Sans grand intérêt, cette œuvre reproduit le même motif d’une masse unie par le travail que l’on retrouve dans cette partie de l’exposition, ou plutôt que l’on voit disparaître, comme dans la magnifique vidéo de Mikhail Karikis et Uriel Orlow qui recompose une musique à partir des chants de mineurs anglais et fait résonner la mélancolie de la disparition de la classe laborieuse que l’on trouve un peu partout à cet étage.

Ceux qui sondent véritablement les particularités économiques de notre époque découvrent une autre disparition, celle de la figure de l’exploitant qui ne cesse de se dérober dans la quête fictionnelle menée par Goldin+Senneby pour remonter la piste de la bien nommée Headles Ltd. Mais malgré ce travail et quelques rares autres tentatives d’exploration des caractéristiques de notre économie globalisée, on reste bien souvent à un niveau illustratif et littéral qui reformule le même motif né de l’ère industrielle.


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