r e v i e w s

Franz West

par Vanessa Morisset

Centre Pompidou, Paris, 12.09 — 10.12. 2018

Une rétrospective d’un grand artiste contemporain qui n’est ni une star pour attirer le public, ni un Français à promouvoir auprès des touristes, c’est-à-dire une exposition d’un grand artiste dont on peut apprendre encore beaucoup, organisée rien que pour cette raison-là, c’est rare au Centre Pompidou et ça fait du bien. En effet, parmi les monographies passées et à venir (Jeff Koons, César, Jean-Luc Moulène, bientôt Victor Vasarely, Bernard Frize, Christian Boltanski) l’artiste autrichien Franz West (1947-2012), avec ses références à la Sécession viennoise et ses objets en papier mâché, tombe du ciel comme un courant d’air frais. Méconnu, en tout cas en France où jusqu’à présent on n’avait pu voir que des pièces éparses et hétérogènes difficilement situables dans une démarche globale, le travail de Franz West est ici visible dans son ensemble. Pour être tout à fait juste, il faut rappeler que la commissaire de l’exposition, Christine Macel, lui avait fait déjà fait la part belle dans « Viva Arte Viva » de la Biennale de Venise 2017 dont elle était aussi commissaire, en lui consacrant une salle avec des pièces rarement vues — photographie et mobilier par exemple — interagissant entre elles. Ainsi présenté parmi des artistes de la génération actuelle, Franz West y apparaissait comme une personnalité riche, ouvrant des voies originales à même d’inspirer les plus jeunes. Ne serait-ce que du point de vue de l’initiative, l’exposition est donc à saluer.

Qu’en est-il dans les salles ? Au premier coup d’œil, le principe d’accrochage choisi peut perturber, étant à la fois classiquement chronologique — on commence par les premiers dessins des années 1970, tendance porno chic, et on termine avec des travaux des années 1990-2000 plus monumentaux, tels que les Têtes de lémures ou les sculptures installées hors les murs dans le Marais — et parcouru de formes et d’expériences récurrentes telles que les fameux Paßstücks, des sculptures en papier mâché peint, d’apparence trash, à mille lieues des objets industriels lisses qui nous entourent au quotidien, à transporter contre soi. Mais ce sont aussi des collages, des maquettes d’affiches pour ses propres expositions ainsi que des installations que l’artiste compose tout au long de sa vie… De plus, l’ensemble est présenté au sein d’une scénographie elle-même hybride avec une succession d’espaces partiellement définis par des cimaises en quinconce. Mais pourquoi ne pas accepter de se perdre entre des œuvres qui entretiennent entre elles des rapports de ramifications, de croisements, d’hybridation et, finalement, se laisser balader au gré des renouvellements ou des récurrences. En somme, l’œuvre est rendue accessible tout en ne concédant rien aux méandres des obsessions qui l’irriguent de l’intérieur, sexe et viennoiseries, à travers les dessins, découpages de magazines, formes organiques pour le premier, le style sécession, la critique de l’actionnisme, le divan freudien ou l’ambiance des légendaires cafés pour les deuxièmes, sans oublier la figure de la mère, dentiste, qu’on ne peut s’empêcher d’imaginer, avec ses moulages de mâchoire, comme l’une des sources d’inspiration des sculptures de l’artiste. C’est suffisamment rare pour avoir envie d’y croire.

Franz West, Sex Trivial, 1972. Gouache sur papier, 14,3 × 21 cm. Collection particulière. Courtesy David Zwirner, New York / London / Hong Kong. Photo © Auktionshaus Im Kinsky GmbH.

Un autre principe de l’exposition mérite d’être souligné : la tentative d’autoriser la manipulation ou l’usage de pièces conçues comme telles par West. Dans la « deuxième » salle, des copies de Paßstücks sont à la disposition du public pour être portées sur l’épaule ou tenues contre son corps, aux côtés d’autres Paßstücks à ne pas toucher. Par conséquent, deux statuts différents du même type d’œuvre se côtoient, expérimental et patrimonial, ce qui, là encore, est plutôt judicieux, en principe. Dans les faits, l’expérience est limitée, seules quelques pièces blanches sont disponibles à la manipulation dans un espace réservé que personne n’utilise, une sorte de grande cabine d’essayage dont on ne comprend pas la vocation (qu’est-on censé faire enfermé dedans avec des Paßstücks ?). Mais il n’empêche que la tentative fait comprendre cette caractéristique de la sculpture de West, une sculpture à vivre, dans un rapport de proximité, inventant par là une nouvelle catégorie d’objets, ni sacrés ni prosaïques, ni beaux ni repoussants, des objets magiques à leur façon, pensés en relation avec d’autres catégories artistiques que West fait aussi bouger, notamment le mobilier. Dans l’une des citations qui ponctuent l’exposition, il dit être devenu une sorte de « militant se battant pour l’émancipation du meuble ». Voilà qui éclaire avec drôlerie le rapport entre ses installations et ses sculptures : elles participent toute deux de l’émancipation du meuble soit en recyclant d’anciens meubles dans l’art ou, inversement, en utilisant des sculptures comme des meubles.

Au final, l’exposition, malgré ses quelques défauts, permet de saisir la grande liberté de West par rapport aux catégories et aux concepts artistiques de son époque tout en leur apportant par ses œuvres des réponses plastiques aussi singulières que pertinentes. Il est à espérer qu’ensuite, après un artiste qui n’est ni une star, ni un Français, vienne le temps d’une grande rétrospective consacrée à une artiste.


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