r e v i e w s

Gontierama à Château-Gontier

par Vanessa Morisset

Gontierama 2024, Château-Gontier sur Mayenne, 25 mai-25 août 2024

C’est déjà la quatrième édition de Gontierama (depuis 2018, tous les deux ans) et la singularité de cette manifestation commence à bien se camper. Un parcours d’œuvres installées dans la petite ville d’une douzaine de milliers d’habitants, ouvert à tous publics, sans rien concéder quant à la qualité des accrochages ni dans le choix des artistes invité·es, fait qu’en s’y promenant on a en tête à la fois la fête de village et les meilleures biennales d’art contemporain. Un premier événement organisé pour l’inauguration donne le ton de cette approche de l’art – en fait, l’esprit de Jeremy Deller était parmi nous – puisqu’une fanfare rock a été conviée à défiler dans les rues : le Green Line Marching Band qui, en habit de majorettes dignes de la pochette pop de Sergent Pepper, entonnait des chansons des Clash et de Franz Ferdinand, en sollicitant la toute petite foule que nous formions comme si nous étions au stade de Wembley. 

Clémence van Lunen, …all about curtains – Gontierama 2024 – Le Carré, Scène nationale -Centre d’art contemporain d’intérêt national / Pays de Château-Gontier – photo Marc Domage, © ADAGP, Paris 2024

Toujours pensé avec une grande finesse par Bertrand Godot à sa direction, le rapport des formes artistiques, variées, aux lieux qui les accueillent, d’architectures elles aussi très variées, une salle gothique, une salle white cube, un mini-golf, crée des effets de surprise qui stimulent l’exercice du regard.

Cette année, le fil rouge entre les différentes étapes est l’évocation, d’une manière très subtile, du vent, comme symptôme du dérèglement climatique. 

À commencer par le vent qui balaie les nuages, que l’on peut observer grâce à l’installation proposée par Sylvain Soussan dans le cadre de son « musée des nuages ». Mis en place il y a plus de trente ans, ce projet artistique consiste à récolter et diffuser des éléments esthétiques, scientifiques, militants et même juridiques autour de ces drôles d’objets blancs et gris suspendus dans le ciel. Grâce à de belles chaises longues éditées pour l’occasion, on regarde le ciel tout en écoutant une playlist de chansons évoquant la météo et le climat. Plus loin, à la médiathèque de Château-Gontier, on retrouve un second ensemble de chaises longues, où il est possible de s’installer pour consulter une collection d’ouvrages sur le même sujet, rassemblée à partir d’une bibliographie conséquente, constamment tenue à jour — c’est là aussi l’une des missions du musée des nuages. 

Autre artiste, autre lieu, si on rentre dans le bâtiment auprès duquel ont été installées les chaises longues et la playlist, on découvre un espace d’exposition de type galerie, le 4 bis, où sont présentées des peintures d’ambiances nocturnes, ainsi que des vases en grès d’Anne Brégeaut. Mes insomnies, Vase paysage, Vase château de sable, mais encore Vase Médée ou Vase Virginia Woolf, tels sont les titres des œuvres, introduisant à un univers halluciné qui nous frappent par des visions puissantes : les couleurs électriques des paysages, rivière rouge fluo, roches pointues rose fuchsia, chemins sinueux orange vif, pluies de poussières étincelantes, viennent s’imprimer sur nos rétines. Les paysages sont les théâtres d’un petit vent de folie. 

Dans la ville et à l’entrée du service psychiatrique de l’hôpital qui se trouve au bord de la Mayenne, c’est au tour d’Elsa Tomkowiak de partager avec nous les couleurs avec lesquelles elle travaille, vives elles aussi, mais plus manifestement réconfortantes, sous la forme de rideaux, d’écrans et de stèles. En résidence pendant quelques mois, elle a réalisé avec les patient·es de l’hôpital une série de sculptures en mousse imprégnée de peintures multicolores qui forment des stèles énigmatiques, plus encore que celle, toute noire, du film 2001, l’Odyssée de l’espace. Placées dans le hall d’entrée de l’institution, elles semblent s’adresser à nous. 

Elsa Tomkowiak, Albedo Monolithes – Gontierama 2024 – Le Carré, Scène nationale -Centre d’art contemporain d’intérêt national / Pays de Château-Gontier – photo Marc Domage, © ADAGP, Paris 2024

Au musée d’Art et d’Histoire, lieu incontournable de Gontierama où les œuvres d’art contemporain sont présentées parmi les collections historiques – à chaque édition, l’accrochage est remarquable – sont parsemées des céramiques de Clémence van Lunen, appartement à une série intitulée …all about curtains. On y retrouve l’idée d’un courant d’air qui agite le tissu, dans une dialectique dedans-dehors qui rappelle toute une histoire du motif de la fenêtre en peinture, sauf qu’ici, la céramique ajoute une dimension volontairement absurde et délicatement comique. Quoi de plus éloigné a priori que la terre modelée de bas en haut, figée par la cuisson et l’émail, pour représenter des plis tombants et fugacement agités, ou tout juste resserrés sur une tringle imaginaire ? Dans le contexte du musée, les céramiques deviennent un commentaire spirituel et amusé des liens entre peinture et sculpture. 

D’autres œuvres tout aussi riches composent ce parcours et on pourra se reporter au plan et au dépliant exhaustif confectionné par l’équipe de Château-Gontier pour les localiser dans la ville. Mais, pour finir cet aperçu, on ne peut pas ne pas mentionner la sculpture de Pierre Ardouvin qui est à la fois un point d’aboutissement et une invitation à un nouveau départ. Placée devant la mairie, en cette période électorale, elle se compose d’une structure en métal inspirée des panneaux d’affichage publicitaire. D’ailleurs, elle nous délivre un message, écrit en grandes lettres ponctuées par des petits moulins à vent, brillants, qui en troublent tout d’abord la lecture. Puis, une phrase se laisse saisir, comme une amorce de poésie, ou comme une amorce d’avertissement : Qui sème le vent ? 


    Head image : Anne Brégeaut , Mes insomnies – Gontierama 2024 – Le Carré, Scène nationale -Centre d’art contemporain d’intérêt national / Pays de Château-Gontier – photo Marc Domage, © ADAGP, Paris 2024


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