r e v i e w s

Échos du passé, promesses du futur

par Sandra Barré

Échos du passé, promesses du futur
macLYON, Lyon
7 mars — 13 juillet 2025
Commissariat : Marilou Laneuville
Avec Donatien Aubert, aurèce vettier, Léa Collet, Sofia Crespo, Justine Emard, Alexandra Daisy Ginsberg, Daniel Godínez Nivón, Ittah Yoda, Kasia Molga, Vica Pacheco, Sabrina Ratté, Bianca Shonee Arroyo-Kreimes, Wang & Söderström

Pour sa saison printanière 2025, le MacLyon présente deux expositions connexes, bien qu’indépendantes, sur le rapport qu’entretient l’art avec ce que nous nommons grossièrement et, généralement, les « nouvelles technologies ». Autour de ce vaste territoire, deux accrochages, « Univers programmés » (commissariat : Matthieu Lelièvre) et « Échos du passé, promesses du futur » (commissariat : Marilou Laneuville), s’articulent l’un avec l’autre par deux approches complémentaires. La première envisage une réflexion historique, prenant appui sur la collection du musée, dont la moitié des œuvres provient. Cette proposition se réfère à deux événements marquants : l’exposition « Les Immatériaux1 » (1985), qui brossait déjà un large portrait de l’intégration du numérique dans la production contemporaine, et la 3e Biennale de Lyon2 qui, en 1995, s’arrêtait sur les enjeux et l’impact naissant de ces nouveaux outils qu’étaient l’informatique ou l’Internet. Justifiée par la référence directe à l’invention lyonnaise du cinéma par les frères Lumière, l’exposition illustre les rapports au numérique par une multitude de médiums : la photographie de Constant Dullaartn, reprenant la première image travaillée par Photoshop en 1997 (montrant dans diverses modulations la femme du concepteur, Jennyfer, de dos, sur une plage paradisiaque) ; le dessin, suite de petits caractères illustrant le thème de l’écran de télévision de Nam June Paik ; la sculpture taxidermiste d’un chat, inspirée au duo Eva et Franco Mattes par un mème représentant la version tronquée d’un chat marchant dans Google Street ; ou la tapisserie d’Ailbhe ni Bhriain représentant des superpositions de séquences filmées et des images générées par ordinateur et intelligence artificielle. Cette histoire des relations entre création et numérique ravive les notions d’archives et de paternité/maternité de l’œuvre, rappelant que, à l’apparition des œuvres que l’on pourrait qualifier de net.art, de cyberart ou d’art numérique, la coopération avec des technicien·nes spécialisé·es était presque obligatoire. 

Justine Emard, Supraorganism, 2020 © Adagp, Paris, 2025. Vue de l’exposition « Échos du passé, promesses du futur » au macLYON, 7 mars —13 juillet 2025. Photo : Lionel Rault.

Cette notion de coopération est omniprésente dans la seconde exposition, « Échos du passé, promesses du futur », jusqu’aux visiteur·euses qui sont amené·es à pénétrer les œuvres. Chaque espace est nimbé de l’ADN propre à chaque artiste, offrant une suite d’immersion singulière. Ici, l’immersion se fait par l’imbrication d’un ensemble de savoir-faire soutenu par les apports technologiques. Le numérique est bien présent, mais il n’efface pas la collaboration humaine d’où sont nées ces installations, il le renforce, apparaissant comme un outil parmi d’autres.  

Léa Collet a travaillé avec des élèves du collège Marie-Curie à Tourcoing pour son installation Digitalis qui, grâce à l’IA, matérialise un potentiel « devenir-fleur », fusionnant le corps d’enfants avec celui de végétaux. Alexandra Daisy Ginsberg s’est entourée de nombreux spécialistes pour ramener à la vie, dans une large vidéo, un rhinocéros blanc du Nord, dont le dernier représentant mâle est mort en 2018, emportant avec lui la potentialité de l’espèce à se reproduire. Vica Pacheco s’entoure de la sensibilité de sa grand-mère qui ornait sa maison de grands bouquets de lys odorants et de celle de sa mère qui façonnait des vases, pour penser une série de contenants conçus en modélisation 3D qui, telles des flûtes à eau colorées, accompagnent, par le son et jusqu’à leur mort, les fleurs qu’elles abritent. Justine Emard travaille en collectif avec des humain·es (souffleurs de verre, producteur·ices, programmateur·ices, conseiller·ères scientifiques…) et des non-humain·es, ici, des abeilles, qui lui permettent de créer, avec l’assistance numérique, un espace à la croisée de la féérie et de l’esthétique clinique où de grandes sculptures de verre, en forme de cocons, s’illuminent et bourdonnent lorsqu’on s’en approche. Quant au duo d’artistes Ittah Yoda (Virginie Ittah et Kai Yoda), il œuvre en symbiose avec l’IA, un parfumeur ou des matériaux collectés autour de Lyon pour créer un univers onirique où s’entrecroisent, par deux sculptures humanoïdes en cire et cinq tableaux, les quatre éléments dans l’intention de créer de nouveaux imaginaires hybrides où chaque vivant·e est interconnecté·e à celles et ceux qui l’entourent.  

Les diverses œuvres et univers nous poussent à reconnaître qu’il n’y a pas véritablement d’artiste démiurge et que chaque œuvre est coconstruite, de même qu’elle l’a toujours été avec les possibilités que nous offrent l’environnement, les matériaux et la coopération entre les différents savoirs. Ici, l’appui de cette intelligence artificielle rend possible la métamorphose (Léa Collet), la réanimation de ce qui n’est plus (Alexandra Daisy Ginsberg, Donatien Aubert), le cycle de la vie (Vica Pacheco), la coexistence poétique (Justine Emard) ou la création d’imaginaires hybrides (Ittah Yoda), et raconte combien cet outil encore effrayant n’est peut-être finalement bien qu’un outil. Échos du passé, promesses du futur « ou comment la nature est sublimée par le numérique3 » illustre combien cet usage des technologies est l’une des stratégies artistiques mises en place pour sensibiliser l’action d’une société alertée à propos des bouleversements climatiques et de la destruction de l’écosystème, mais qui reste dans l’inaction à grande échelle. Convoqué·es autour de la pensée du psychologue Peter H. Kahn et de son concept d’« amnésie générationnelle environnementale », les artistes et les institutions qui les invitent continuent de hurler à l’urgence. Drôle de constat, pourtant, que d’envisager que les technologies ne cessent de se perfectionner pour représenter un monde implosant, mais qu’elles sont incapables d’arrêter le désastre. 

Alexandra Daisy Ginsberg, The Substitute, 2019. Courtesy de l’artiste. Vue de l’exposition « Échos du passé, promesses du futur » au macLYON, 7 mars —13 juillet 2025. Photo : Lionel Rault.

1. « Les Immatériaux », commissariat : Jean-François Lyotard et Thierry Chaput, Paris, CNAC Georges Pompidou, 28 mars – 15 juillet 1985.
2. « Interactivité, image mobile, vidéo », commissariat : Thierry Prat, Thierry Raspail et Georges Rey, Lyon, Cité internationale, 20 décembre 1995 – 18 février 1996. 
3. Extrait du communiqué de presse.


Head image : Ittah Yoda, Learning to Fly, 2025. Courtesy des artistes et Galerie Poggi, Paris © Adagp, Paris, 2025. Vue de l’exposition « Échos du passé, promesses du futur » au macLYON, 7 mars —13 juillet 2025. Photo : Lionel Rault.


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