Balak #7
Maison d’Arthur Rimbaud-Maison des ailleurs, Charleville-Mézières, 25.11.2017—18.02.2018
« Pousse toi de là, j’arrive », telle est la signification de Balak, mot emprunté à un dialecte marocain par l’artiste Mehryl Levisse pour baptiser l’association qu’il a fondée en 2011. Et le terme reflète bien l’une des caractéristiques de son activité d’« espace temporaire d’art contemporain » puisque Balak n’a pas de lieu attitré et organise chacune de ses expositions dans des endroits différents — appartement, espace public, musée dédié à d’autre sujets que l’art contemporain — en utilisant chaque fois l’infrastructure à disposition. Il faut préciser aussi qu’opérant à Charleville-Mézières, l’association joue avec l’omniprésence en arrière-fond de la figure de Rimbaud, la dernière exposition, « Balak #7 », s’étant précisément installée dans la maison où vécut le poète de 1869 à 1875. À l’intérieur, un pan de mur laisse encore voir le papier peint original. On ne peut guère être plus loin du white cube.
L’exposition trouve donc ici une résonance particulière et les œuvres ne peuvent être regardées qu’en songeant à la créativité de Rimbaud par rapport à son époque, en transposant le questionnement à la situation actuelle. Choisi par Mehryl Levisse pour cette raison même, le thème de « Balak #7 » est la pratique du multiple sous toutes ses formes, du livre d’artiste de forme classique à sa réinvention, jusqu’aux affiches, sérigraphies expérimentales et éditions d’objets. Mais comme pour toutes les expositions de Balak, le thème est pensé aussi en fonction du public, avant tout local, curieux, mais habituellement obligé de se déplacer pour voir des œuvres. L’idée est par conséquent de faire venir à lui des pièces de grands artistes, même avec les moyens réduits d’une association, ici grâce aux prêts des Fracs Champagne-Ardenne, PACA, Lorraine, du CEAAC de Strasbourg, de la Collection du livre d’artistes de Bruxelles… C’est ainsi que Mehryl Levisse a pu obtenir des œuvres d’Andy Warhol, Robert Morris et Ed Ruscha notamment, en empruntant à la collection du Frac Bretagne une merveilleuse boîte intitulée Artists & Photographs conçue par Dan Graham en 1970 pour les éditions Multiples Inc. New York. Sont aussi exposés des livres de Fischli & Weiss, de Sol LeWitt, ainsi que des réalisations plus récentes.
Le grand artiste marocain Hassan Darsi est présent à travers des éditions de cartes postales, de stickers et de posters. Par exemple est évoquée son installation Or d’Afrique, réalisée en 2012 à Marseille, pour laquelle il avait recouvert d’adhésif doré les blocs de béton de la digue du large. Action éphémère (et plus encore que prévu car l’œuvre avait été vandalisée) qui trouve un prolongement dans l’édition de cartes postales (2013), diffusant auprès du public la force et l’esthétique d’un artiste encore trop peu connu en France. De même, un autre ensemble de cartes postales accompagné d’une affiche de présentation rendent compte d’une action artistique et militante d’envergure d’Hassan Darsi dans sa ville de Casablanca, Le projet de la maquette, lancé en 2002. Déplorant l’abandon d’un grand parc paysager, le parc de l’Hermitage, il en a entrepris un état des lieux précis, recensant notamment les déchets qui s’y étaient amassés. La démarche a abouti à une maquette mais aussi aux multiples rassemblés ici. Sur l’affiche de présentation, on lit cette déclaration que l’on est tenté de considérer, dans le contexte de la maison de Rimbaud, comme un poème : « La maquette n’est pas un modèle réduit / Elle est le prototype de l’irresponsabilité / La maquette ne renvoie ni au passé ni au futur / Elle renvoie à l’état décrépi d’aujourd’hui / La maquette n’induit aucune volonté / Elle est le constat de l’absence de volonté / La maquette est une réalisation collective / Sa non-réalisation aussi, est collective ». Un troisième projet d’Hassan Darsi est aussi présenté par le biais d’une affiche, une collection d’objets à l’effigie du lion pour faire prendre conscience du mauvais traitement que subit le lion du zoo de Casablanca.
On verra aussi dans l’exposition des objets représentatifs du travail d’artistes s’inscrivant dans les recherches les plus actuelles, et parfois des plus drôles. C’est par exemple Le Grand Vin de Reims de Nicolas Boulard (2006), des bouteilles d’un vin confectionné à partir des vendanges des vignes décorant les ronds-points, les bords de route, les arrivées de supermarchés de la capitale du Champagne. Et enfin, glissées parmi les vitrines et les pièces au mur, on découvrira quelques œuvres de Mehryl Levisse telles que la sérigraphie à la feuille d’or intitulée Oiseaux de mauvais augure (2015) réalisée avec l’atelier Tchikebe de Marseille, qui offre un bel exemple de créativité dans la pratique du multiple, alliant motif décoratif et dessin onirique ou encore, plus discrète mais tout aussi troublante, la carte postale Orchidoclaste (2017) où l’écriture d’un mot qu’on croirait désigner une fleur — alors que c’est une insulte ! — émerge de manière quasi-subliminale d’un motif de papier vénitien.
En somme, à l’heure où poésie et arts plastiques se rapprochent, les artistes réinventant le livre tandis que les écrivains impriment leurs textes sur des supports inattendus, l’exposition « Balak #7 », dans la maison de Rimbaud, a visé bien juste.
(Image en une : Hassan Darsi et la source du lion, Le projet de la maquette, 2002 – 2003 :Dix cartes postales présentant des détails de la maquette du parc de l’Hermitage de Casablanca + plaquette de stickers. Collection particulière ; Plaquette présentant le projet de la maquette réalisé au cœur du parc de l’Hermitage. Collection particulière)
- Publié dans le numéro : 85
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- Du même auteur : Gontierama à Château-Gontier, Alias au M Museum, Leuven, mountaincutters à La Chaufferie - galerie de la HEAR, Lacan, l’exposition au Centre Pompidou Metz, Jérôme Zonder au Casino Luxembourg,
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