r e v i e w s

Alice Anderson

par Patrice Joly

Alice Anderson

D’Alice Anderson, difficile de résister à la tentation de circonscrire la pratique à une polarité induite par une patronymie par trop prégnante : entre un personnage carrollien nous aspirant de l’autre côté du miroir, quand, de ce côté-ci, elle nous ensorcèle de ses historiettes septentrionales. Les travaux d’Alice, du moins ses vidéos, sont construits sur le mode de petites fictions fantastiques où des personnages au devenir tragique y disparaissent et réapparaissent au gré d’un scénario chaotique et convulsif, où le réalisme se délite au fur et à mesure qu’on y progresse. Comme dans les contes littéraires, c’est l’imaginaire qui prédomine, la vraisemblance n’a que peu d’importance, ce qui importe c’est la démonstration, via tous les moyens autorisés, d’une logique du récit. Le fantastique y côtoie donc le « normal » et s’y substitue ou bien le prolonge. Le décor de ses films semble d’une autre époque, hors du temps ; il part souvent d’une architecture chargée qui renvoie à un imaginaire archétypal : châteaux forts, prisons aux murs épais, labyrinthes : autant de cadres qui sont déjà des indications fortes sur la teneur de l’histoire à venir. Le décor englobe le récit, l’enclot et comme dans Doll’s Day, son dernier opus, il devient un personnage à part entière à l’organicité très présente. Par ailleurs, ces scénarii empruntent à une tradition antévictorienne, d’avant l’avènement de l’enfant comme destination majeure du conte (ce que par ailleurs Andersen s’est toujours défendu d’avoir écrit) : ici rien de sucré, ni d’aseptisé, la femme (marâtre) est puissante (dixit Alice Anderson), le personnage du père est souvent falot ou bien ailleurs, les instruments sont contendants et leur utilisation, allusive, renvoie plutôt du côté de la blessure sanguinolente que du jouet en plastique mou. Comme vous le pressentez, les contes d’Alice sont souvent des histoires triangulaires et la destinée d’une histoire familiale semble s’y rejouer constamment, avec un casting somme toute assez prévisible. Pour autant, les « contes d’Anderson » ne doivent pas s’entendre comme la réitération ou la reprise d’une histoire personnelle via des moyens artistiques à vertu cathartique et libératoire. Alice Anderson ne cache pas une certaine dose d’allusivité à sa propre situation et on peut assez vite évacuer la question de l’investissement personnel : ce qui fait tout l’intérêt de ses films, c’est l’utilisation matricielle de son histoire personnelle pour s’attaquer à la question de la formation de l’identité via l’affrontement fondateur avec la mère. Il ne faudrait pas non plus réduire son travail à une sorte de psychanalyse des contes de fée filmée, même si évidemment tous les éléments du drame familial à la Bettelheim sont réunis. Ses films sont avant tout de véritables contes, c’est-à-dire qu’ils savent s’affranchir d’une interprétation univoque par une maîtrise du scénario, suffisamment ouverts pour qu’on y adhère et y plonge, trop anachroniques pour s’y résorber complètement en gardant toujours une certaine distance.

Patrice Joly

The Doll’s Day, à l’Espace croisé, Roubaix, du 26 avril au 28 juin 2008.
Miroir Miroir, La Traversée des apparences, au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille, du 16 mai au 23 août 2008. Commissaire d’exposition Pascal Neveux. Scénariste de Miroir Miroir Maud Jacquin.
Spectres, au musée national Pablo Picasso, Vallauris, du 29 mars au 9 juin 2008.

Alice Anderson, The Dolls' Day, 2008. Vidéo 10 min. Production Espace Croisé.

Alice Anderson, The Dolls’s day, 2008, video 10 mn, production Espace Croisé.


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