Steirischer Herbst’ 20

par Vanessa Morisset

Graz, 24.09-18.10.2020*

Jusqu’alors peu connu au-delà du monde germanophone et essentiellement consacré aux arts vivants, le Festival d’automne de Graz, sous l’impulsion de sa directrice Ekaterina Degot, historienne de l’art moscovite et auparavant, entre autres, conservatrice à la Galerie Tretiakov, s’ouvre aux arts visuels. L’édition de cette année devrait marquer un tournant dans ce sens mais, avec l’épidémie qui s’est propagée au moment de mettre en œuvre les projets des artistes invités, tout a été chamboulé. Rapidement la décision a été prise de transformer le festival en un événement qui conserve une part de sa programmation sur place pour les habitants et le public voisin (Vienne n’est pas loin) mais se déroule aussi en grande partie sur internet. Et c’est finalement un exemple très réussi de reconversion expresse, qui atteint même son but initial, puisqu’à distance, tout le monde peut y accéder. Avec une dose d’autodérision par rapport à la situation actuelle, le thème choisi, est de surcroît la paranoïa, sachant pour que Ekaterina Degot, Art is always about a better world 1. Et si ce monde meilleur n’est pas flagrant aujourd’hui, on peut déjà le rêver. 

Roee Rosen, Lucy Is Sick (2020), Coloring book. Photo: Clara Wildberger 

Sur place, c’est tout d’abord un ensemble de petites éditions, commandées à des artistes, parmi lesquels le new-yorkais Roee Rosen ou le collectif viennois Gelatin2 qui ont été distribuées au public, parfois de manière impromptue, en accompagnement d’une livraison de pizza, par exemple, afin de diffuser largement au niveau local l’esprit du festival. Pour préciser les exemples, Gelatin a été invité à dessiner une carte de Graz de mémoire, la Grazelatin City Map, qui se présente effectivement sous la forme d’une carte touristique à déplier et indique les principaux lieux notables de la ville ; en retour, une carte de Vienne a été dessinée selon le même procédé par le collectif de Graz Studio Asynchrome. Quant à Roee Rosen, il a conçu un livre de coloriage à distribuer dans les hôpitaux (aux adultes seulement, car il raconte l’histoire d’une enfant malade). Parodiant la documentation habituellement distribuée dans les festivals et grandes manifestations, ces éditions sont en réalité des multiples d’artistes glissés dans les mains du public. 

Puis, sur place aussi, des œuvres ont été installées dans l’espace public, telle que celle de Vadim Fishkin, intitulée Dictionary of Imaginary Places qui illustre (éclaire !) parfaitement le thème de la paranoïa. Car non, en traversant un parc de la ville, nous n’hallucinons pas, deux lampadaires apparemment communs, émettent bien des sons, voire discutent ensemble. Lorsqu’on s’approche, on comprend qu’ils énumèrent des lieux imaginaires, utopiques, tirés de la littérature. Les deux lampadaires nous font voyager en pensée. 

Vadim Fishkin, Dictionary of Imaginary Places (2020), Installation, Burgring, Graz.
Photo: Mathias Völzke

De même, des performances, parfois de grande ampleur, ont été organisées. C’est le cas de The final match de l’artiste slovène Janez Janša (plus exactement de l’un des trois artistes slovènes répondant au nom de Janez Janša, qui est en réalité le nom d’un politicien qu’ils ont adopté, produisant des situations artistico-administratives absurdes), un commentaire d’une finale de championnat de foot qui n’a pas eu lieu à cause de la pandémie et qu’on écoute en circulant 90 minutes durant dans l’un des cent taxis affrétés pour l’occasion. Certes non exemplaire du point de vue écologique et peu agréable à vivre, la performance fait pénétrer le spectateur dans un monde de fiction vraisemblable, comme parallèle au nôtre, avec un dénouement utopiste : trois fins étaient proposées, dont une révolte des joueurs pour un monde plus juste. 

Par ailleurs, il faut également noter que le lancement du festival avait lieu en même temps que se tenait à Graz la passionnante exposition consacrée à l’artiste américain, pionnier dans le travail du son en arts plastiques, Bill Fontana. Primal Energies, au Kunsthaus (bâtiment fou, construit par l’architecte britannique, ex-Archigram, Peter Cook).  

Gelatin, grazelatin city map 2020 (2020), Map (Detail), Paranoia TV Headquarters, Graz.
Photo: Courtesy of the artists 

En outre, une grande partie de la programmation a eu lieu en ligne, avec la création d’une chaîne de télévision temporaire qui se revendique autant de la diffusion des programmes journaliers des anciennes chaînes hertziennes que des sites d’artistes, ou plus exactement, selon Ekaterina Degot, il s’agit d’un « Netflix alternatif », nommé Paranoïa TV, qui diffuse des séries d’artistes, des interviews… Par exemple, a été diffusée Brown, yellow, white and dead, de Liv Schulman (dont on connaissait déjà notamment Control, parodie drôle et expérimentale de série policière), mini-série co-produite par le festival qui raconte les velléités cinématographiques d’un petit groupe d’amis dans lequel la réalisatrice joue son propre rôle.

En somme, grâce à ce festival, on découvre autant des œuvres d’artistes issues d’une scène de l’art contemporain tournée vers l’est et le nord-est de l’Europe, que celles d’autres, plus diffusées en France, dont on est très heureux de suivre et de mieux connaître le travail. 

* La partie en ligne du festival a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2020.  


  1. Paroles prononcées en conclusion de son discours d’ouverture du festival, le 24 septembre 2020.
  2. Le collectif a changé plusieurs fois de nom mais a repris depuis peu celui de Gelatin.

Image en une : Liv Schulman, Brown, yellow, white and dead (2020), Video. Photo: Clara Lemercier


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