LOOP

par Mathilde Roman

LOOP, Barcelona, 4 – 7 juin 2014.

Loop est une foire unique en son genre : centrée sur la vidéo, elle offre un temps privilégié de découverte, de réflexions critiques et de partages autour des pratiques contemporaines de l’image en mouvement. Une quarantaine de galeries investissent les chambre d’un hôtel de Barcelone et ce cadre intimiste et confortable est d’emblée un élément très important pour le visiteur. Il peut s’installer confortablement sur un canapé, faire des pauses dans le grand salon commun pour partager ses expériences et alterner avec un programme de conférences très stimulant. En ville les expositions sont aussi nombreuses, certaines historiques comme celle sur Eugénie Bonet au Macba qui permet de rendre compte du contexte espagnol des débuts de la vidéo, et la qualité de Loop tient aussi à la synergie qu’elle a su créer avec des institutions privées et publiques de Barcelone.

Pablo Lobato, Corda, 2014. Presented at LOOP 2014 by Bendana |Pinel Art Contemporain, Paris.

Pablo Lobato, Corda, 2014. Presented at LOOP 2014 by Bendana |Pinel Art Contemporain, Paris.

Enrique Ramirez, Cruzar un Muro, 2012, galerie Die ecke.

Enrique Ramirez, Cruzar un Muro, 2012, galerie Die ecke.

En introduction de « Loop Studies », une conversation eut lieu entre Harun Farocki, exposé dans une galerie de la ville, et Mark Nash, critique et curateur anglais. Pour Farocki, le déplacement du cinéma où il réalisa ses premiers projets vers le musée où il jouit aujourd’hui d’une grande reconnaissance tient d’une forme d’exil. Exil volontaire ou involontaire? On entendait chez Farocki une nostalgie d’une époque révolue, et une réticence encore à se sentir au bon endroit en déployant son œuvre dans l’exposition. Si les allers et retours entre cinéma et vidéo sont fréquents chez les artistes, et génèrent des œuvres fortes, il s’agit maintenant de penser autrement une production qui s’est construite dans une réelle autonomie et de l’accompagner aussi sur le marché. Loop participe pleinement de cette démarche, tout en questionnant l’exposition des œuvres grâce à des invitations faites à des commissaires comme Sherry Dobbin, en charge du programme « Midnight Moment » à Times Square à NY, où tous les soirs une installation vidéo apparaît pendant trois minutes sur plusieurs dizaines d’écrans. Le déplacement hors du musée est ici un véritable travail d’adaptation, voire de re-création, qui lorsqu’il est fait avec l’intelligence du contexte peut amener la vidéo à habiter pleinement l’espace public.

Jean-Michel Pancin, Dehors Avant, 2014. Single Channel, color, sound.

Jean-Michel Pancin, Dehors Avant, 2014. Single Channel, color, sound.

La plupart des œuvres présentées sont récentes, certaines d’artistes déjà bien repérés comme Oscar Muñoz, mais aussi d’autres peu connus. D’un côté, il y a ceux qui frappent par la force de leurs images comme Dan Acostioaei ou Mihai Grecu et Thibaut Gleize, artistes fictionnalisant le réel afin d’en donner à voir la complexité, les enchevêtrements et incohérences. De l’autre, ceux qui déploient des œuvres ancrées sur des expériences intimes et performatives, comme Jean-Michel Pancin qui a rechaussé des patins à glace après un long arrêt forcé et essayé de dessiner des algorithmes, créant des images étonnantes construites au plus près de la glace. Nezaket Ekici, artiste turque, développe elle une recherche sur et à partir de son corps, de ses contraintes et de ses codes, dans des performances qui trouvent aussi une forme vidéo. Antonio Paucar a réalisé une action dans le paysage péruvien qui enchevêtre histoire de la colonisation et expérience personnelle. L’univers de Rachel Maclean, artiste anglaise, est kitsch, drôle et acéré à la fois. À partir d’extraits de bande-son de films, elle construit une narration dont elle performe tous les personnages, à mi chemin de l’animalité. Les questions d’héritage, cinématographique mais aussi politique, sont très présentes dans de nombreuses œuvres exposées, comme Some Engels de Sven Johne, où des acteurs viennent participer à un casting pour jouer le rôle de Engels lors de l’oraison funèbre de Karl Marx. L’évocation du communisme s’entremêle avec les récits personnels de comédiens de série B en fin de carrière dans un décor de studio américain, ouvrant de multiples interrogations.

Sven Johne, Some Engels, 2013, 27’13’’. Presented at LOOP 2014 by Klemm's, Berlin (Courtesy of the artist and the gallery).

Sven Johne, Some Engels, 2013, 27’13’’. Presented at LOOP 2014 by Klemm’s, Berlin (Courtesy of the artist and the gallery).

Rachel Maclean, A Whole New World, 2014, galerie Rowing.

Rachel Maclean, A Whole New World, 2014, galerie Rowing.

Le jury de Loop a décerné son premier prix à Enrico Ramirez pour Cruzar un muro, réflexion très construite sur l’exil associant l’univers froid et violent de l’administration et la solitude psychologique des immigrants avec le mouvement d’un fleuve. Le plateau est littéralement transposé sur l’eau et quoi que l’on impose comme attente figée aux personnages, le cours de l’histoire avance et les amène ailleurs. L’installation de Marcos Avila Forero, A Tarapoto, un Manati, a également été primée pour la manière dont elle s’est déployée dans tout l’espace de la chambre et s’est engagée dans des questions documentaires et sociales autour de la communauté Cocama. Enfin Pablo Labato a reçu un prix pour Corda, vidéo qui nous amène au plus près de la manière dont les hommes font corps lors d’un procession religieuse au Brésil, tous reliés par une corde qui se charge de l’émotion collective.


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