Helen Mirra

par Guillaume Lasserre

Du vent au vent

Commissariat : Sébastien Faucon

Musée d’art contemporain de Haute-Vienne, Château de Rochechouart

25 février – 18 septembre 2022

L’invitation faite à Helen Mirra par le musée d’art contemporain de Haute-Vienne constitue la première exposition personnelle de l’artiste américaine en France. À travers une trentaine d’œuvres qu’elle a pris soin de sélectionner elle-même, « Du vent au vent » propose une traversée non chronologique dans vingt ans d’une création plastique qui fait la part belle à la marche. L’activité, qu’elle définit comme modeste et libre, est érigée en quasi-protocole. Privilégiant des matériaux simples, ses œuvres combinent un élément textuel à une forme minimaliste. Née en 1970 à Rochester (État de New York) en 1970, Helen Mirra étudie au Visual Studies Workshop de sa ville natale, d’où elle est diplômée en 1987, avant de poursuivre en histoire de l’art contemporain au Benington College (Vermont). Elle vit et travaille aujourd’hui à Muir Woods en Californie.

L’exposition, qui occupe une partie du deuxième étage et la totalité du troisième étage du château de Rochechouart, s’ouvre sur la question du langage et de l’enregistrement qui, à partir des années quatre-vingt-dix, occupe le cœur de sa pratique à travers l’acte de la marche. Marquée par la philosophie orientale que pratique sa mère et qui lui permet de développer l’infini respect de la nature qui la caractérise, elle l’est également par l’héritage conceptuel américain, en musique notamment, avec John Cage, et parmi les figures du land art, par l’artiste marcheur Hamish Fulton. 

« Field Recordings » (2010) est un ensemble de pièces réalisées sur toiles de lin produites au cours de marches avec protocole. Chaque heure, l’artiste interrompt sa marche pour collecter des éléments végétaux – feuille, brindille – ou urbains – frottages du sol – qu’elle passe à l’encre afin d’en réaliser le relevé sur des toiles de lin selon la méthode d’impression japonaise du « gyotaku ». Ces « enregistrements directionnels horaires » – dans le sens de sa marche –, comme elle les nomme, sont ensuite arrangés dans l’atelier, Mirra cousant les pièces de lin entre elles pour composer une cartographie imagée de chaque promenade.  « Glacier » (2009) est construit à partir d’éléments de langage présentés en coupe verticale à la manière d’une peinture murale, tranchant avec les formes horizontales traditionnellement choisies par l’artiste. Dix mots inscrits en lettres blanches au pochoir sur fond gris : rock (pierre), blood (sang), blanket (couverture), ground (sol), rock, mind (esprit), monosyllabiques, à l’exception de « blanket », séquencés et espacés proportionnellement, créant une rythmique basée sur la répétition, composent cette œuvre visuelle qui s’apparente à de la poésie concrète et témoigne de l’importance du langage et de la musique sérielle dans le travail de l’artiste. Le choix du titre atteste du rapport très fort que l’artiste entretient avec l’écologie même si ses pièces n’en traitent pas de manière frontale. Petits supports en bois à l’absence de prétention, les « paragrafs » d’Helen Mirra sont réalisés à partir de morceaux de palettes dont la longueur correspond à la section de son avant-bras. Si la nature en demeure la source, son corps devient ici mesure.

Helen Mirra, Straw fold, 2001, château de Rochechouart, 2022. Crédit de l’artiste. Photo Aurélien Mole

L’artiste est très attentive aux équilibres qui se créent entre les œuvres. Avec pour titres « Map of parallel 88N at a scale of one inch to one degree » (2000), deux rouleaux textiles de seize millimètres d’épaisseur, ici roulés mais qui pourraient tout aussi bien être présentés déroulés, renferment des paysages en sommeil, à l’état d’enregistrement. Dans la tour de la Chapelle, Helen Mirra réactive « strow fold », pièce créée en 2011 au Bonner Kunstverein. Installation immersive dans laquelle le public est invité à s’asseoir, ou même s’allonger, sur le sol recouvert uniformément de paille, matériau brut qui ramène aux prémices de l’histoire de l’agriculture et au rapport des humains à la terre, aux activités les plus basiques tels que marcher, s’asseoir, s’allonger, respirer et sentir. L’installation est augmentée de la réactivation d’une pièce sonore, « Miller’s View », initialement présentée à Bâle en 2001, qui diffuse un son cyclique évoquant le système rotatif d’un silo à grain dont les palmes munies de toiles sont déployées selon la force du vent, ce que reproduit la bande sonore de la « vision du meunier ». Le spectateur se trouve au cœur de la pratique méditative de l’artiste.

Au dernier étage, Helen Mirra s’intéresse au séquençage de l’espace des combles pour sa rythmique propre. Elle dispose quatre « Field Recordings, Field Notation ; Hourly Directional Field recordings » qui prolongent les premiers « Field Recording » de 2011 dans le désert de Sonora en Arizona attestant d’une pratique de terrain menée par dérives successives. Chaque heure, elle réalise l’empreinte d’un caillou. À chaque fois, une croix indique le bas, faisant des tissus de véritables relevés topographiques. L’idée est de recréer les coordonnées spatiales de ces cailloux sur la toile de lin, toujours en prise directe avec la nature. « Volke » (2006) établie un rapport au ciel. L’artiste empile avec un léger décalage des couvertures blanches provenant d’un hôpital militaire à la manière d’un origami afin de créer un grand nuage d’un diamètre de trois mètres donnant l’impression d’un mouvement perpétuel. Tandis que « Map of parallel 52°N at a scale of one foot to one degree » (1999), film seize millimètres de trois cent soixante pieds de long figure un voyage aérien imaginaire à travers le globe qui s’achève sur les côtes du Labrador. Helen Mirra plonge le public dans une atmosphère onirique en peignant entièrement la pellicule par lavis d’aquarelle vert et bleu. Elle rejoue le cinéma expérimental dans les variations de luminosité des teintes. À côté, cent-dix triangles de tissus couleur indigo disposés au sol, dont certains sont cousus entre eux, composent le « Sky-wreck » d’Helen Mirra, portion de ciel à 1/22ème obtenue en appliquant le principe des conceptions géodésiques inventé par l’architecte et cartographe Richard Buckminster Fuller (1895-1983) avec sa carte « Dymaxion », représentant les continents sur un icosaèdre modifié. Avec cette installation, réalisée en 2001 pour la Renaissance Society de Chicago où elle était présentée en face de Richard Long, l’artiste propose une cartographie imagée du ciel.

Helen Mirra, Map of parallel 88°N at a scale of one inch to one degree, Map of parallel 80°S at a scale of one inch to one degree 2000, château de Rochechouart, 2022. Crédit de l’artiste et de la galerie Nordenhake, Stockholm. Photo Aurélien Mole

Helen Mirra enregistre le paysage avec une certaine esthétique du fragment. En érigeant la marche comme méthode de création artistique – les deux activités sont indépendantes, cependant la marche structure le travail et vice versa –, l’artiste, adepte des choses simples, s’inscrit dans la lignée des grands explorateurs. Si, dans ses créations plastiques, l’approche appliquée apparait stricte et minimaliste, elle n’en est pas moins poétique. Son œuvre, qui mêle le rapport au paysage, aux mathématiques et au langage, convoque l’histoire et les pratiques du cinéma, de la peinture et de la sculpture qui, combinées à l’intérêt de l’artiste pour les formes de la mémoire et de l’imaginaire, compose une puissante et délicate méditation de la compréhension humaine du monde. Si l’impermanence et le temps qui passe sont contenus dans le titre même de l’exposition, celui-ci se réfère aussi à la place accordée par Helen Mirra à l’incorporation dans son processus de création. Il ne s’agit pas seulement « d’être dans le vent mais d’être le vent lui-même », explique-t-elle. « L’élément ‘vent’, en sanskrit ‘vata’, ce qui fait bouger les choses ».

Image mise en avant :  Helen Mirra, Sky-wreck 1/22, 2001, château de Rochechouart, 2022. Crédit de l’artiste et de la galerie Meyer Riegger Karlsruhe / Berlin. Photo Aurélien Mole


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