Review Lilian Bourgeat

par Eva Prouteau

Review Lilian Bourgeat

POURQUOI FAIRE GRAND ? C’est la question qui ouvre le très bon texte de Pascal Beausse sur l’œuvre de Lilian Bourgeat, pour le catalogue publié chez BlackJack éditions (Le dîner de Gulliver, 2009). L’auteur liste alors foule d’exemples d’art « bigger than life », du Sphinx de Gizeh aux Bouddhas de Bâmiyân (détruits par les Talibans), des cônes de signalisation routière de Dennis Oppenheim aux sculptures d’autoroute, en passant bien sûr par Claes Oldenburg & Coosje van Bruggen et Jeff Koons. « Alors que l’art n’est plus soumis à un devoir d’édification morale ou de glorification des pouvoirs, alors que l’artiste a gagné sa liberté au long de la modernité pour s’affranchir de l’obligation d’illustrer et accompagner un programme idéologique… Pourquoi continuer à faire grand ? »1

Dans le champ du monumental, on creuse pour de multiples raisons. Quelles qu’elles soient, elles n’ont en tous les cas plus rien d’original. Que Lilian Bourgeat en rajoute une couche témoigne sans doute d’un désir POST : recueillir pêle-mêle toutes les associations et les lectures que l’histoire de l’art a produites sur la catégorie XXXL et les incorporer, se les approprier. Du folk art des installations de ronds-points aux immenses productions des foires d’art contemporain, l’exégèse des discours sur le GRAND semble ainsi compactée dans le travail de Bourgeat. D’où certaines cohabitations a priori paradoxales, entre érudition et idiotie amusante, communication spectaculaire et enchantement autodidacte, séduction et rejet.

Lilian Bourgeat, DECUPLATA, vue de l’exposition 2011. Centre d’Art Contemporain la Chapelle du Genêteil. – © Antoine Avignon

Lorsqu’on arrive à Château-Gontier, où l’artiste présente l’exposition Decuplata, la Chapelle du Gêneteil apparaît pour la première fois minuscule. Quatre sculptures – un parpaing, une paire de bottes en plastique, un porte-bouteille et une ampoule nue – se disputent la place. Et en profitent pour discuter formellement et installer une micro-narration. Exit le caractère un peu cérémonieux du lieu : flotte plutôt ici une atmosphère de cave, où un agriculteur aurait laissé ses « effets » quotidiens. En tant que visiteur, on ne se sent pas complètement invité dans l’espace, déjà parce qu’il n’en reste plus beaucoup, ensuite parce que ces objets s’associent naturellement à un univers un peu rêche, celui de la fonctionnalité sans chichi et du labeur ordinaire. On est loin de l’impact participatif du Dîner de Gulliver, table et chaises de jardin géantes pour méga-festin festif, ou de l’attraction sexy, chromatique et ludique, d’autres installations de l’artiste (lunettes 3D, punaises aux couleurs pop, etc…). Il se dégage pourtant de la scène une influence fascinatoire, à laquelle l’échelle bien sûr mais surtout le processus de production ne sont pas étrangers. Dans la catégorie défi futile et savoureux, galvaniser un porte-bouteille de 6 mètres de haut constitue un spécimen de challenge que Duchamp aurait sûrement salué. Il y a donc ici, comme dans le travail de Pascal Rivet présenté antérieurement à la Chapelle2, une interrogation troublante sur le geste de reproduction. Faire image, caresser l’œil par la familiarité mimétique et le savoir-faire empirique mais bluffant, et en même temps, ruiner cette confiance par l’étrangeté des finalités. Cependant la déstabilisation des repères s’avère bien plus frontale chez Bourgeat, sous-tendue par une volonté de « non-enchantement » du monde que décrit bien Pascal Beausse : dans le sur-dimensionné, l’artiste ne recherche pas l’émerveillement, mais plutôt le levier d’une stratégie plus retorse, qui induit le piège physique du spectateur, son terrassement mental aussi. Aucune certitude sur la viabilité d’un quelconque message ici délivré ou plutôt l’empilement de tous les possibles donc leur annulation partielle : l’artiste fait vaciller l’alentour de l’œuvre, souligne le caractère inadapté de l’être humain dans un tel environnement, et désamorce toute prétention de lecture univoque. L’humour de Vuillemin, dont les dessins féroces sont exposés à l’entrée du lieu, corrobore cette grande entreprise d’effondrement des valeurs. Le dessinateur, connu pour son trait brouillon et ses mises en couleur baveuses, ses appétences libertaires et son goût de la provoc, invente une planche pour chaque œuvre de Lilian Bourgeat : il en profite surtout pour fustiger le monde l’art, caricaturer ses comportements et singer ses commentaires imbus. Le foutage de gueule est jouissif et gras et les sales blagues n’épargnent ni l’artiste ni le spectateur. On ressort de Decuplata chargé de cette énergie frondeuse, avec pour seule certitude que tout figement de l’œuvre — tout sens de la mesure de l’art — est à proscrire définitivement.

Lilian Bourgeat, DECUPLATA, vue de l’exposition, 2011. Centre d’Art Contemporain la Chapelle du Genêteil. – © Antoine Avignon

 

Notes

1 Extrait de Le Dîner de Gulliver, Lilian Bourgeat/Pascal Beausse, BlackJack éditions, 2009, p. 35.

2 Pascal Rivet, Procession, exposition du 9 janvier au 7 mars 2010.

 

 


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