r e v i e w s

Vancouver, the new Mecca ?

par Benedicte Ramade

 

Si Vancouver est la Mecque de la série télé américaine, puisqu’un pourcentage élevé de productions censées prendre pour cadre Los Angeles sont tournées dans cette ville de Colombie Britannique, l’art contemporain n’est pas en reste. Car on connaît certains de ses illustres représentants – Jeff Wall, Rodney Graham, Mark Lewis – comme ambassadeurs internationaux de cette scène locale, mais quid de la jeune génération ? À l’heure où l’on nous rebat les oreilles avec la globalisation, la surinformation, force est de constater que cette scène nous est largement inconnue et que les particularismes ne sont pas l’apanage des seuls pays émergents (la scène angelinos) ayant à ce sujet largement démontré son originalité. Le musée des Beaux-Arts du Canada à Ottawa offre une première réponse en forme de mise en bouche avec Nomades. A priori rien d’excitant sur le papier quant à la thématique qu’on pensait reléguée dans le rayon historique des années 1990. Petite exposition rassemblant cinq noms, c’est court pour une représentation de scène, c’est court pour traverser l’Atlantique. Sauf qu’en cinq salles monographiques, la démonstration est impeccable, foisonnante et donne fissa l’envie de filer à Vancouver. D’un Geoffrey Farmer (entraperçu à Pougues-les-Eaux cet été et au Witte de With l’an dernier), un Gareth Moore (lui aussi mis à l’honneur par le centre d’art de Rotterdam), Althea Thauberger (noyée dans la confusion de Manifesta à l’été 2008), Hadley+Maxwell (inconnus au bataillon) et la découverte chouchoute, Myfanwy MacLeod, tous partagent un goût pour le nomadisme formel. Cette dernière propose ici une plongée dans l’imagerie de l’alcoolisme et sa mythologie. À partir d’une base de données tentaculaire – sa collection de cartes postales des années 1950 et 1960 – McLeod compose des collages viraux des personnages de poivrots canonisés par la culture populaire (le bourgeois bedonnant au pif rouge et à l’air jovial) et tisse en filigrane une réflexion sur le divertissement et l’art déprécié de la caricature, et une satire sociale largement oubliée par un art contemporain policé. Mais ce sont surtout les modernes qui prennent un coup dans le nez. Myfanwy McLeod glisse avec classe un questionnement sur la révolte masculine « acceptable » des Pollock, Hemingway ou Dean Martin, le culte romanesque de l’excès et de l’hypnose alcoolique. L’artiste ne s’embarrasse pas de principes et balance ses bastos avec humour et détachement comme lorsqu’elle transforme la tourelle d’un décor du film Chitty Chitty Bang Bang en cabane à chiottes « merveilleuse », intitulée Le Petit Royaume (2000).

Vancouver

Geoffrey Farmer, the Surgeon and the Photographer, 2009

Les autres nomades du groupe sont, eux, plus sérieux et moins déjantée que Myfanwy McLeod mais tout aussi pertinents. À commencer par Gareth Moore, hobo versatile qui mixe installation, texte, dessin, vidéo, sculptures et surtout assemblages (le maître mot de l’exposition). Dans une salle muséale classique, il a déroulé les éléments de son grand œuvre protéiforme, Un Pèlerinage incertain (2006-2009). Comme ses petits camarades, Moore ne se répète jamais et fait de chaque présentation, une quasi performance expositionnelle, tiraillant l’intemporalité des white cubes et consorts. C’est ce nomadisme de présentation, cette faculté de métaboliser l’errance conceptuelle que la commissaire Josée Drouin-Brisebois a particulièrement bien saisi. Revenons à Moore. En septembre 2006, l’artiste à peine trentenaire part errer à travers l’Europe et l’Amérique du Nord avec sur le dos un costume qu’il s’est confectionné et qui cristallisera cette expérience initiatique et artistique. En découle une pratique fragmentaire, elliptique, profondément narrative, parfait reflet des pérégrinations géographiques et mentales. Un mille-feuille temporel et une qualité folklorique qui fait aussi la qualité de l’installation tentaculaire et hybride de Geoffrey Farmer, collectionneur et glaneur tout aussi compulsif. Dans The last two million years (2007-2009), il a conçu des dizaines de poupées, entre le fétiche vaudou et la marionnette flippante, à partir d’une encyclopédie du Reader’s Digest dédiée à l’histoire de la terre dont il a découpé toutes les illustrations. Réécriture d’une histoire condensée remise à la sauce du subjectif, Farmer expose un panthéon personnel, transitoire, viral et profondément ésotérique. Toujours aux franges du mauvais goût, d’une littéralité écœurante sans qu’heureusement il ne franchisse jamais le pas. « Chaque présentation n’est rien d’autre qu’une possibilité, un moment dans la vie de l’œuvre », précise la commissaire. C’est là, la qualité de chaque proposition, une qualité processuelle qui fait, sans emphase, de l’exposition une étape et non un point d’achoppement.

Nomades, au Musée des beaux-arts du Canada,
 Ottawa, 
Canada, du 17 avril au 30 août 2009. Avec Gareth Moore, Geoffrey Farmer, Myfanwy MacLeod, Hadley+Maxwell, Althea Thauberger.