r e v i e w s

Jean-François Chevrier, Formes biographiques

par Benedicte Ramade

Carré d’Art Nîmes, du 29 mai au 20 septembre 2015

La manipulation biographique jusqu’à l’autofiction, le combat contre l’identité civile au profit d’une identité du genre plus conforme au moi, sont devenus, au cours de l’ère postmoderne, les outils privilégiés de nombre d’écrivains et d’artistes. Immédiatement, viendront à l’esprit les figures de Boltanski, d’Annette Messager, jusqu’à certaines caricatures de soi comme celles que met en scène Ryan Trecartin dans ses installations exultant l’exhibitionnisme à la sauce 2.0. Aucun de ces personnages ne vient hanter « Formes biographiques », l’opus commissarié par Jean-François Chevrier à la suite d’une première version madrilène réalisée à l’hiver 2013-2014. Plus ramassée, plus contemporaine, cette version n’est pas forcément à lire comme une suite, ni même une réédition. C’est un objet hybride qui se coule dans l’architecture quelque peu autoritaire du dernier étage du Carré d’Art. Une galerie de personnalités dont le dénominateur commun est le commissaire. Il a tissé des liens avec les artistes. Certains ont été ses étudiants à l’ENSBA de Paris comme Florian Fouché ou Claire Tenu. D’autres sont admirés et étudiés depuis longtemps comme Broodthaers, Filliou, Étienne Martin, Dieter Roth et encore Thomas Schütte. Mais plutôt que des biographies, que des figures, Chevrier aura choisi des œuvres avec lesquelles il tisse son récit lapidaire dont le visiteur ne sait jamais complètement qui est le narrateur, tant celui-ci passe de mains en mains. L’exercice est éminemment intellectuel. Parfois un peu compassé car il hésite entre une forme historique, qui était davantage celle privilégiée au Reina Sofia de Madrid, et une forme libre, plus contemporaine.

Gérard de Nerval, Généalogie fantastique, dite aussi délirante, 1841. Bibliothèque de l’Institut de France. Photo © RMN-Grand Palais (Institut de France) / Christophe Chavan.

Gérard de Nerval, Généalogie fantastique, dite aussi délirante, 1841. Bibliothèque de l’Institut de France. Photo © RMN-Grand Palais (Institut de France) / Christophe Chavan.

Une chose est sûre : le mandat de formes biographiques est rempli. Et il ne s’encombre pas d’un fastidieux catalogue de configurations. Il joue volontairement de l’indiciel, de formes de répétition, assumant la part d’interprétation de l’auteur de cette métabiographie qu’est Chevrier. Il le dit d’ailleurs sans ambages, ce sont des œuvres qui l’ont construit qui ont été rassemblées à Nîmes. Parmi ces moments de vie, les douze images noir et blanc d’Edward Krasinski, J’ai perdu la fin (1969), montrant un homme se débattant avec un long fil entremêlé. Dans cette première salle, une étrange sculpture de Martin Honert montre un enfant assis à une table (Foto, Klein-Martin am Tisch, 1993). L’image-objet est rétive autant au discours qu’à la confidence. « On n’est pas obligé de savoir » revendique Chevrier. Et effectivement, le parcours est jalonné d’aspérités, parfois d’incompréhensions quant aux présences, aux choix. Ils appartiennent à l’auteur ; au visiteur d’avoir lu l’imposant catalogue ou d’arpenter en toute conscience de son ignorance. L’exposition n’est justement pas très explicite sur ces fameuses formes. On espérait une taxonomie, c’est un métarécit, un emboîtement gigogne où se croisent la photographie, la sculpture, l’installation, la forme filmique. Il y a heureusement de belles trouvailles dans cet imbroglio. Rock Star, Character Appropriation (1974), série d’images pour lesquelles David Lamelas s’empare des stéréotypes du rock. Un groupe de marionnettes de Peter Friedl dans la dernière salle, The Dramatist, sème un peu plus le doute. Modélisations de Chavafambira (« l’Hamlet Noir »), d’Henry Ford le magnat automobile, de Julia Schucht, épouse de Gramsci, et de Toussaint Louverture, figure de l’indépendance haïtienne : tous acteurs d’une pièce dont le scénario est connu de l’artiste seul, probablement personnifié par un masque mortuaire en plâtre. La biographie est une énigme, un labyrinthe, un gouffre.

Peter Friedl, The Dramatist (Black Hamlet, Crazy Henry, Giulia, Toussaint), 2013. Photo Maria Bruni. Collection Carré d’Art-Musée d’art contemporain de Nîmes. © Peter Friedl & Guido Costa Projects

Peter Friedl, The Dramatist (Black Hamlet, Crazy Henry, Giulia, Toussaint), 2013. Photo Maria Bruni. Collection Carré d’Art-Musée d’art contemporain de Nîmes. © Peter Friedl & Guido Costa Projects

Chevrier livre une forme ouverte, non péremptoire qui laisse libre de s’exprimer la propre biographie du spectateur, libre de projeter une fantasmatique, à moins que cela ne soit une névrose. C’est la beauté de l’exercice parfois un peu docte, parfois un peu loin de la contemporanéité mais avec l’appétit intact de son auteur comme propulsion dans cet univers hautement singulier. Une forme d’autobiographie écrite à la troisième personne.

 


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