Valentine Gardiennet

It takes a village
Valentine Gardiennet
Les Magasins Généraux
22 mars — 18 mai 2025
It takes a village. Cette formule, titre de la première exposition personnelle d’envergure de Valentine Gardiennet et promesse d’une nécessité de collaborer, renvoie à l’idée selon laquelle il faut tout un village pour élever un enfant et, par extension, que la multiplicité de nos rencontres et de nos environnements fait la richesse de nos parcours respectifs. Au-delà d’un simple proverbe, cette expression est aussi une manière pour l’artiste de nous entraîner dans son univers fantasque, peuplé de personnages en tous genres, de tons tape-à-l’œil et d’une multitude de références à la pop culture. Comme dans une fable, on y rencontre différentes figures archétypales, arcanes personnels qui lui tiennent compagnie à la manière d’ami·es imaginaires. Dans le travail de Valentine Gardiennet, tout sans exception débute par un dessin, avant que ces nombreux personnages – réels ou fictifs – nés sur une feuille de papier ne s’échappent de la deuxième dimension. Ce médium, bien souvent assimilé à un exercice féminin et solitaire, représente pour elle un espace politique et une pratique émancipatrice autour de laquelle se rassembler dans un esprit de solidarité.
Assumant une esthétique de la surcharge parfois décriée dans un milieu qui lui préfère souvent l’épuration et le minimalisme, Valentine Gardiennet s’attaque à des formats volontairement démesurés. Au centre de l’espace, un lit à l’échelle de celles et ceux qui habitent l’exposition se déploie. Point névralgique, la pièce sur laquelle nous sommes plus qu’invité·es à nous prélasser ou à faire la sieste s’accompagne d’une B.O. imaginée avec Clément Berthou relatant les petites joies et les maux quotidiens d’une jeune femme de ses 13 ans jusqu’à l’âge adulte. L’artiste se raconte ainsi à travers une boucle sonore qui nous guide tandis que l’on parcourt le lieu. Litanie à la fois familière et mélancolique ; sons de pluie, chansons d’amour et bruits de bisous se mêlent dans un amalgame de sensations qui touchent à l’universel. Les veilleuses en forme de nuages et le papier peint suranné meublent cet environnement évoquant tout autant l’intimité domestique de la chambre qu’un paysage extérieur matérialisé par des palissades et des moulins à vent. L’ensemble renvoie à un décor de théâtre dont on aurait percé le mystère puisque son envers est volontairement laissé apparent. Quelque chose de factice plane comme un mot d’ordre, ainsi que le laisse entendre le message laconique découvert dans l’un de ses dessins : « Plus personne ne sait raconter des histoires. Tout le monde ment. »

Le plus souvent conçues à partir de matériaux pauvres ou recyclés, les œuvres de Valentine Gardiennet font également référence aux constructions rapides que l’on retrouve dans les fêtes populaires, kermesses et carnavals. En ce sens, elle s’attèle à une entreprise de déhiérarchisation des médiums, des registres ou encore des sujets et ce, jusque dans ses inspirations. L’artiste emploie ainsi une palette qui fait écho à l’art naïf, de même qu’elle utilise des techniques parfois proches de l’artisanat. Elle use également d’une pointe d’humour, d’ordinaire plus souvent associée aux artistes masculins. Citant les propos de Morgan Labar entendus lors d’une conférence : « L’individu joue plus facilement à être bête quand il est dans une situation de relatif confort ou de privilège. Si l’utilisation de la bêtise n’est pas seulement réservée aux mâles alpha, elle est plus facilement pratiquée quand l’individu n’a pas à justifier sa place dans un groupe déterminé », l’artiste n’hésite pas à énoncer la difficulté à s’abandonner à la dérision lorsqu’on a du mal à être prise au sérieux. En cela, elle s’empare une fois de plus d’enjeux propres à une histoire de l’art misogyne et sexiste qu’elle s’amuse à détourner avec finesse. On peut ainsi penser qu’elle fait preuve de malice quand ses poupées gargantuesques s’animent par surprise, clignant tout d’un coup des yeux pour nous dévisager. Si plusieurs dessins semblent révéler une pratique intuitive et résolument affranchie de toute contrainte, la précision avec laquelle elle réalise les différents panneaux qui recouvrent une structure métallique aux allures de serre industrielle contraste avec la plupart des éléments présentés dans l’exposition. Cette installation – elle aussi monumentale – a été pensée spécialement pour l’espace et témoigne une fois de plus de la capacité de l’artiste à manier différents registres. Les personnes qu’elle représente sont tout autant ses proches que des personnages issus de son imaginaire ou de différentes sources, et renvoient selon elle à la notion de famille choisie. La plupart des pièces de l’exposition émanent de ce fait d’un travail collaboratif produit à plusieurs mains et conçues pour certaines directement sur place en accord avec l’entreprise un peu folle énoncée dans le titre de l’exposition.
Dans celle-ci se mêlent les références à la bande-dessinée, le personnage de Sancho Panza représenté sous les traits d’une femme, un moulin de fête foraine, des boites de céréales animées, comme pour mettre en œuvre la revanche de personnages souvent considérés comme secondaires ou bêtas. Conférant une certaine aura à ses figures dévoyées, à des groupes de musiques particulièrement niches, ou encore à l’usage – pas toujours apprécié à sa juste valeur – des crayons de couleurs, Valentine Gardiennet illustre différentes ères de la vie, matérialisées dans sa musique d’ambiance par le passage d’une saison à l’autre. Entre récit de soi à travers l’évocation du lieu où elle a grandi et mises en scène grandiloquentes et burlesques, elle met à profit le jeu, la bêtise et l’inconscience dans un royaume de carton-pâte qui rappelle tant l’espièglerie enfantine et le vague à l’âme de l’adolescence que les errances de l’âge adulte. Bouleversant le lieu, Valentine Gardiennet nous offre la possibilité de déambuler au cœur d’un Luna park spectaculaire et farfelu, né d’une première collaboration avec Anna Labouze et Keimis Henni lors d’une kermesse programmée dans le cadre de la Contemporaine nîmoise, qui prend ici une toute nouvelle envergure et vient dès lors se déployer en un joyeux village.

Head image : Vue de l’exposition / Exhibition view of « It takes a village » de Valentine Gardiennet aux Magasins Généraux, 2025. Photo : Salim Santa Lucia.
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- Du même auteur : David Douard, "Crumbling the Antiseptic Beauty", Élodie Seguin à la BF15, Lyon, Caroline’s Home à la Maison Pop, X · A CAPITAL DESIRE à la Maison du Danemark, Théo Casciani au Frac Pays de la Loire,
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