r e v i e w s

David Douard, « Crumbling the Antiseptic Beauty »

par Camille Velluet

David Douard à la Fondation Pernod-Ricard
« Crumbling the Antiseptic Beauty »
> 13 juillet 2024

Invité par la Fondation Ricard à concevoir son premier commissariat dans une institution, David Douard convoque une quinzaine d’artistes et ami·es issu·es de générations et de scènes différentes dont les travaux ont pu tour à tour infuser sa pratique. À l’instar des fanzines qu’il réalise dans l’intimité de l’atelier, ce projet rend compte de discussions et de réflexions menées collectivement avec la famille artistique qu’il choisit ici de mettre en lumière. À la genèse de ce projet, les éditions DIY – découvertes il y a quelques années par le duo de graphistes Bizzarri & Rodriguez –, pourtant invisibles dans l’exposition, donnent lieu à une série d’invitations débordant cette fois la surface de la page. Émanant directement des rencontres avec un·e artiste ou une pratique et des rapports d’influences qui se jouent à cet endroit, Crumbling the Antiseptic Beauty figure une part de la dimension référentielle qui caractérise le travail plastique de David Douard. Ce sont ainsi les liens affectifs et les connivences théoriques et esthétiques qui sont mis à l’honneur à travers cette proposition. Dans l’exposition, on ne trouve que peu de traces de l’artiste-curateur en dehors d’une série de recueils de poèmes dissimulés dans un recoin. Celui-ci participe à la mise en espace en restructurant le lieu par l’usage de ses stores fétiches et de différents éléments architecturés. Ce seul geste sculptural effectué par l’artiste, s’il s’apparente à un effacement maîtrisé de sa part, nous soumet cependant à un parcours minutieusement agencé. Modifiant radicalement l’espace de la Fondation Ricard jusqu’à le rendre méconnaissable, David Douard impose des directions, des brèches par lesquelles on peine à se faufiler, des passages qui nous forcent à éprouver la matérialité ou la fragilité des pièces.

Exposition Crumbling the Antiseptic Beauty. Fondation Pernod Ricard

Une sculpture de Mélody Lu, postée à l’entrée, rappelle les figures protectrices qui gardent les portes de certains temples. Graveuse autodidacte de pierres tombales, l’artiste compose une série de statuettes taillées dans des chutes de marbre qui viennent reproduire des objets qu’elle affectionne. Comme pour redonner une attention particulière à ces figurines liées à un univers enfantin, elle scelle dans la pierre la charge sentimentale des formes qui nous touchent ou que l’on choisit de conserver sans savoir pourquoi. Disséminées dans l’espace, certaines d’entre elles reposent sur les socles conçus à cet effet par Pascale Theolody, qui servent d’assises aux œuvres comme aux corps des visiteur·euses. Ce mobilier, objet de contemplation sans fonction précise, fait à partir de matériaux hérités de projets précédents, se multiplie et vient également s’immiscer dans les endroits vacants.

Parsemée de motifs qui ricochent dans l’espace, l’exposition est porteuse de divers messages dont il s’agit de se saisir. Au sol, l’installation mouvante aux infinies reconfigurations de Marie Angeletti se déploie en différents endroits. Sur certaines des boules de pétanque polies jusqu’à devenir réfléchissantes, apparaissent en filigrane des mots disparates tels que lunacy (folie) ou levity (légèreté). Ces adresses succinctes, sujettes à interprétation, nous permettent de décliner les multiples sens cachés qui font la richesse de l’exposition. Il en est de même pour son titre dont la signification se dérobe à nous. Tiré d’un album du groupe Felt, celui-ci évoque l’impossibilité à cerner ce qui parfois fait la beauté des choses. David Douard s’empare également de cette matière intangible lorsqu’il s’attache à penser l’agencement des pièces en termes d’énergies et qu’il met en exergue un regard sensible sur les travaux qu’il présente. Dans cette perspective, il vient rendre hommage à la figure insaisissable de Pascal Doury à travers une série de photographies argentiques prises par Jacques-Élie Chabert dans l’appartement de l’artiste, éditeur et illustrateur qui nous dévoile des bribes de son quotidien. Témoins d’une époque et archives de son œuvre, ces moments de vie nous apparaissent au dos d’une cimaise aux allures domestiques. De nombreuses portes entrouvertes subtilement intégrées à la scénographie matérialisent différents chemins de pensée à emprunter. S’il s’agit pour le commissaire d’une entreprise de corruption du réel au moyen de divers phénomènes de distorsion, la formule résonne avec le set up de jeu vidéo de Morag Keil. Ce bureau aménagé pour se plonger dans une réalité dissociée vient se frotter au réel qui s’offre à nous à travers la fenêtre laissée dénudée donnant sur les quais de la gare Saint-Lazare.

Exposition Crumbling the Antiseptic Beauty. Fondation Pernod Ricard

Les travaux de Garance Früh ne sont pas sans rappeler les procédés de David Douard dans sa capacité à juxtaposer les matières dans un assemblage qui vise à un renversement du sens premier de l’objet. Ses pièces sont autant d’items visuels qui font référence à des corps amoindris ou souvent considérés comme vulnérables, auxquels il s’agirait d’octroyer une certaine force. Les formes se changent en dispositifs de défense, les pinces à cheveux deviennent des armes dentées et la fragilité apparente se mue en piège. Please Remove Your Spurs Before Getting in Bed contraint le corps à s’abaisser pour découvrir ce que renferme ce couffin retourné aux allures de cage. Conférant une dimension artisanale aux objets industriels qu’elle démantèle, Garance Früh suture des formes aux teintes charnelles en fabriquant des agencements ambivalents à la fois sensuels et accidentés. On retrouve cette dualité dans le travail de Gabriele Garavaglia qui nous apparaît de prime abord depuis les interstices d’un store entrouvert. Portrait d’un performeur, le tirage révèle un visage juvénile paré d’un masque monstrueux contrastant avec les traits doux de son regard. Suspendu dans l’espace, le mobile de Clémentine Adou – incarnation subtile de violence et de délicatesse – se déplie dans un équilibre désarticulé, dynamique dans son inertie.

Pour conclure ce parcours, un couloir escarpé nous guide vers l’environnement sonore conçu par James Richards. Dans un agglomérat de fragments qui entremêlent les sons de portes qui claquent aux partitions de piano, cette installation s’envisage comme un sanctuaire que l’on peine à atteindre, un lieu méditatif coupé du reste de l’exposition, malgré l’impossibilité à contenir cette pièce sonore qui vient discrètement habiter l’espace.

La proposition imaginée par David Douard distille une partie des imaginaires propres à ses pairs. À travers des démarches plus ou moins introspectives, l’artiste nous livre également quelque chose de lui et de sa perception du monde. Dans une relation à une communauté élective dont semble émaner un mélange de douceur et de compréhension, il pense un dialogue qui figure des rapports de complicité et d’influences mutuelles. C’est sans hiérarchie que se côtoient les regards de certain·es de ses maîtres à penser et ceux de figures plus méconnues dans une approche sensible parfaitement orchestrée et qui fait sans doute la spécificité du commissariat réalisé par l’artiste. 

Exposition Crumbling the Antiseptic Beauty. Fondation Pernod Ricard

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Head image : Exposition Crumbling the Antiseptic Beauty. Fondation Pernod Ricard


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