r e v i e w s

Public Image Limited

par Antoine Marchand

Public Image Limited

S’inscrivant dans la continuité de la défunte Biennale de l’Image en Mouvement1 dont la dernière édition s’est tenue en 2007, la nouvelle « plate-forme » initiée par le centre d’art contemporain de Genève, intitulée Image – Mouvement, s’organise autour de cycles de projections, discussions et autres projets d’art public qui traitent de la question de l’impact des images en mouvement sur la culture contemporaine, à une époque où elles n’ont jamais été aussi nombreuses. L’exposition Atlas, Truths, Details, Intervals and the Afterlives of the Image, élément central de ce programme foisonnant, convoque la figure de l’historien d’art Aby Warburg. Dans son projet « Mnemosyne Atlas », débuté en 1923 et resté inachevé, Aby Warburg cherchait avant tout à comprendre comment le temps et la mémoire transforment les images et s’interrogeait également sur l’emprise des images sur notre culture. Pour ce faire, il avait réuni plus de deux mille reproductions d’œuvres (cartes postales, photographies, illustrations…), couvrant cent ans d’histoire de l’art et embrassant les différents champs des sciences humaines, et il les avait disposées selon le principe du « gute Nachbarschaft » (« bon voisinage »). En ignorant volontairement les cloisonnements entre les disciplines et les époques et en jouant sur le montage, les associations, les confrontations d’images et les modifications de sens, l’intellectuel allemand s’est posé en précurseur à la fois de toutes les expérimentations des années 1960 et 1970 sur les liens entre cinéma, réalité et fiction mais également de ce qu’on nomme aujourd’hui « parafiction » ou storytelling, soit des récits qui tentent d’incarner une vérité basée sur des fictions précédentes.

 

Jozef Robakowski, From My Window 1978-1999, 2000. Video still. Courtesy de l’artiste et ZAK | BRANIKA

Atlas, Truths, Details, Intervals and the Afterlives of the Image poursuit cette réflexion en s’interrogeant donc sur la réinvention de la vérité, la survivance et la résurgence des images. Ainsi du film de Józef Robakowski From my Window, 1978-1999 (2000), succession de séquences capturées par l’artiste depuis sa fenêtre pendant plus de vingt ans, sur lesquelles il intervient en voix off. À travers ces images singulières, c’est une histoire récente de la Pologne et plus globalement de la vie derrière le Mur qui défile devant nos yeux avec, en point d’orgue, le défilé annuel du 1er Mai qui incarne ce changement profond, celui du détachement graduel de l’influence politique de l’URSS et de la fin de le guerre froide. Le film de John Smith, The Girl Chewing Gum (1976), fonctionne selon le même principe de voix off. Néanmoins, ici, l’artiste se pose plus en chef d’orchestre qu’en simple commentateur, donnant l’impression, d’une voix autoritaire, de diriger les évènements qui s’enchaînent à l’écran. Exercice de style virtuose autant que chronique d’une rue de l’Est londonien délabré des années 1970, ce travail de mise en scène renverse et met à nu le discours qui dicte habituellement le sens des images dans les documentaires. L’installation d’Ayreen Anastas, François Bucher et René Gabri, Under the Pavement. First Essay on Chronique (2010), quant à elle, constitue le premier chapitre d’une large recherche en cours sur le film Chronique d’un été2, amorcée avec Edgar Morin, coréalisateur avec Jean Rouch du film de 1960. En se réappropriant les rushes encore inconnus de cette œuvre majeure, les trois artistes ont réalisé un film à l’impact saisissant, traitant notamment des questions d’altérité, de racisme et d’identité, dont l’actualité demeure troublante.

 

Jouant tantôt sur la reconstitution, tantôt sur la mise en scène (The Anarchist Banker (2010) de Jan Peter Hammer), explorant des images du quotidien aussi bien que des documents d’archive (Me You Us Them (2010) de Petra Bauer et Dan Kidner), mêlant fiction et réalité (Otolith 1 (2003) de The Otolith Group), les œuvres réunies dans cette exposition invitent à une réflexion nécessaire sur la place que nous accordons aux images et sur la manière dont nous les « consommons ». Ce faisant, elles entrent en résonance directe avec les bouleversements actuels au Proche et au Moyen-Orient – le film Fabriques (2010) de Maria Iorio et Raphaël Cuomo traite d’ailleurs des problèmes de la classe ouvrière en Tunisie – et nous interpellent sur notre croyance parfois aveugle en les images qui déferlent quotidiennement sur nos écrans.

 

IMAGE-MOUVEMENT, exposition du 9 décembre 2010 au 13 février 2011 et forum du 9 au 12 décembre 2010, au Centre d’Art Contemporain de Genève.

1 Née en 1985 sous l’appellation « Semaine internationale de vidéo », la Biennale de l’Image en Mouvement (BIM) était l’une des plus importantes manifestations en Europe à présenter de la vidéo, des films d’artistes et du multimédia.

 

2Chronique d’un été est un film réalisé à Paris durant l’été 1960 par Edgar Morin et Jean Rouch, dans lequel sont interviewés des Parisiens sur la façon dont ils se « dépatouillent avec leur vie », comme l’explique le sociologue. Outre un questionnement sur le format du film documentaire, cette œuvre majeure est un témoignage rare sur la France d’avant 1968.