r e v i e w s

Nicolas Boulard

par Camille Paulhan

La Dynamique des isoplèthes, La Halle des bouchers, Vienne, 4.03—14.05.2017.

Pour celles et ceux qui ne maîtriseraient pas parfaitement le vocabulaire topographique qui veut que derrière le nom intrigant d’« isoplèthes » se cachent les lignes qui font sur une carte se rejoindre des points d’égale valeur, le substantif choisi par Nicolas Boulard pour son exposition personnelle à la Halle des bouchers se révèle être un excellent support à une imagination fertile. N’étant nullement helléniste, j’avais imaginé que l’isoplèthe était certainement un animal du type de ceux qui creusent, comme les termites, ou de ceux qui forment des boulettes, comme les scarabées bousiers. Les isoplèthes, sculptures en carton recouvertes de terre aux formes empruntées à des courbes mathématiques coniques aux bases aplaties, ainsi que les sphères tapissées de galets et réunies sous le nom de Sisyphe, tout comme celles de la série Atlas, enduites de pigments naturels, auraient peut-être pu me donner raison. Toutefois, même si l’isoplèthe est bien loin du domaine zoologique, un point commun très animal relie les œuvres de Nicolas Boulard : celui du prélèvement, qui prend dans certains cas la forme du conglomérat, pour d’autres celui de la carotte ôtée.

Le point de départ de l’exposition, qui se développe dans un livre d’artiste sobrement intitulé Rhône, consiste en la descente lente de la source du Rhône à Gletsch en Suisse jusqu’à la mer à Port-Saint-Louis-du-Rhône, en dessous d’Avignon. Les huit cent douze kilomètres parcourus par l’artiste en dix jours sont l’occasion de ponctions réalisées directement dans le paysage qui longe le fleuve : pierres, terre, eau, végétaux qui ont tous été à l’origine des œuvres inédites présentées à la Halle des bouchers. Le paysage change constamment et se révèle difficilement descriptible : Nicolas Boulard biaise avec brio, insiste sur le rythme du fleuve, sa sonorité, sa consistance, sa célérité. À Lyon, non loin de Vienne, le fleuve, apparemment plus fatigué qu’ailleurs, se montre calme, ralenti, presque gras. Mais il n’est pas question de rendre compte de cette enquête sans enquête avec des médiums isomorphes : le Rhône n’est ni photographié, ni filmé, et son récit passera – outre le texte – par ses matériaux mêmes : les galets de Sisyphe sont de ceux qui ont été dérobés au fleuve, de même que la terre de la série des Isoplèthes ou de Atlas.

Fidèle à sa pratique artistique antérieure, qui avait vu se déplier, à travers son travail sur le vin ou le fromage, une réflexion sur le territoire, Nicolas Boulard retrouve avec ces nouvelles œuvres son goût pour l’échantillonnage, les nuanciers, les mélanges en apparence purement chimiques mais en réalité fortement symboliques. Sa Synthèse du Rhône (eau) prend la forme d’un tube de verre dont l’eau cristalline qu’elle renferme serait – on veut bien croire l’artiste sur parole, en dépit d’une transparence très suspecte – l’addition de différents prélèvements du Rhône au cours de son itinéraire sinueux. Un principe semblable préside à La synthèse du Rhône (terre) ; toutefois, il s’agit là de la seule œuvre en évolution de l’exposition : à la veille du vernissage, quelques petites pousses vertes commençaient à poindre sous la terre mêlée issue des différents lieux parcourus par Nicolas Boulard.

En effet, même si ce point n’est pas spécifiquement mis en évidence dans « La Dynamique des isoplèthes », il ressort de ces différentes ponctions rhodaniennes une vive sensation de stérilité ou, plus précisément, d’infertilité : les milieux aqueux limpides que l’on peut voir par exemple dans Lac Léman, ou les échantillonnages de terre qui ont servi à la réalisation de Nuancier du Rhône (terre) ne semblent pouvoir accueillir aucune source de vie. Toutefois, à l’inverse des eaux salées utilisées par Jeff Koons pour ses aquariums ou encore de la terre des Earth Room de Walter de Maria, la dimension temporelle des objets est mise en valeur : le vieillissement des œuvres et non seulement inéluctable mais souhaité. Comme les fromages s’affinent et les vins maturent sans pour autant que soient visibles à leur surface ou dans leur robe les ferments qui vont les métamorphoser, les nouvelles œuvres de Nicolas Boulard évolueront imperceptiblement.

C’est peut-être là que se nichent les poétiques isoplèthes et leur dynamisme tant attendu : dans l’incertitude de ces temporalités entre lesquelles il faudrait tirer des lignes bien précaires, et ce en dépit des formes en apparence minimales qui nous sont proposées. Loin, très loin du « What you see is what you see » de Frank Stella, leur devise pourrait bien être plutôt : Festina lente.

(Image en une : Vue de l’exposition au Centre d’art contemporain La Halle des bouchers, Vienne. Photo : Blaise Adilon.)