r e v i e w s

Markus Schinwald

par Alexandrine Dhainaut

CAPC, Bordeaux, du 16 mai au 15 septembre 2013

L’art de Markus Schinwald connaît de multiples formes d’expression comme la danse, la vidéo, la peinture, la sculpture, le dessin et l’installation. L’artiste à peine quadragénaire — qui a représenté l’Autriche en 2009 à la Biennale de Venise — développe depuis plusieurs années un univers surréaliste, angoissant, fait de marionnettes aux tics nerveux, de pieds de chaise reconvertis en pole-dancer, de portraits picturaux retouchés avec une pointe sado-maso et d’espaces modifiés.

La question du corps semble turlupiner l’artiste. En véritable iconoclaste, Schinwald demande à des restaurateurs d’ajouter sur les visages d’authentiques portraits du dix-neuvième qu’il chine, des accessoires mécaniques ou médicaux dont on ne sait s’ils soignent ou s’ils musellent, et qui épousent parfaitement les visages (et la facture de la peinture d’origine), venant souligner les froides expressions des personnages. Ces rajouts sont autant de corps étrangers qui font directement écho aux tubes de laiton que l’artiste a soigneusement ordonnés dans la nef du CAPC. Ce dédale de lignes métalliques dorées, « prothèses du lieu » selon Schinwald, vient perturber l’espace tout en le magnifiant par des verticales vertigineuses s’élevant jusqu’aux voûtes. Il y aussi cet escalier en métal de style Eiffel qui s’élance sur treize mètres de haut pour finalement buter au plafond et finir en impasse. En perdant sa fonctionnalité première, il devient sculpture surréaliste tout en clair-obscur et symbole d’une rêverie de courte durée : il n’y aura pas d’échappatoire ici.

À l’image de ses portraits augmentés, Markus Schinwald aime mettre le corps à l’épreuve, notamment celui de ses acteurs dans son travail vidéo. Extrêmement chorégraphiques et à l’esthétique lynchéenne, les deux séries de vidéos montrées en vis-à-vis mêlent des scènes courtes et muettes sans réelle linéarité, filmées dans un intérieur abandonné. Les différents personnages y oscillent entre statisme et mouvements répétitifs, comme désincarnés, le tout sur une musique et des paroles répétitives lancinantes. Dans Orient, présentée pour la première fois à Venise, un homme en costume de ville se contorsionne et s’épuise à tenter d’extirper son pied de la fente d’un mur dans lequel il est coincé. Chez Schinwald, le corps bute et connaît de nombreuses entraves : le corps des acteurs, d’abord, gêné par des éléments architecturaux ou par leurs propres vêtements (comme ce pantalon trop grand qu’un homme n’a de cesse de remonter mécaniquement), mais aussi le nôtre. L’artiste se plaît à établir des rapports biaisés de distance face aux œuvres, comme ce gigantesque banc blanc en « v » — sculpture autonome par ailleurs — sur lequel on peut certes s’asseoir mais depuis lequel il est impossible de voir correctement les vidéos, tout comme on ne pouvait voir les peintures avec les cinquante centimètres de recul que l’artiste avait imposés dans son exposition personnelle à la galerie Yvon Lambert l’an passé. Rapports de hauteur contrariés, également, lorsqu’il place au niveau de la mezzanine une marionnette assise au bord du vide et sa série de tableaux que l’on ne peut voir en détail, alors qu’il ne s’agit justement que de détails. À l’inverse, l’artiste met le ciel à hauteur d’yeux dans sa série de fragments célestes prélevés dans des toiles existantes et suspendus à l’aide de fils. Les jeux de hauteur, de flottement, de la scénographie s’opposent à la question du poids du corps et de la gravité que soulève l’omniprésence des chaussures et des marionnettes. C’est une ribambelle d’enfants articulés et grimaçants qui nous accueille dès l’entrée de l’exposition. Leurs corps inertes, soumis à la pesanteur, sont uniquement animés par des mouvements de pieds qui viennent claquer le sol par intermittence dans une sorte de ballet mécanique cauchemardesque. Les Culbuto, fraîchement réalisés pour l’exposition, forment un ensemble de sculptures abstraites et parfois anthropomorphes dont la base arrondie est lestée, résistant à toutes les tentatives de les faire chuter.

L’univers dérangeant de Markus Schinwald est souligné par une scénographie en clair-obscur qui donne sa théâtralité à l’exposition. L’artiste joue sur la frustration comme principe de monstration en isolant un détail qu’il rend mal visible, ou il la prend pour sujet, en muselant ses personnages ou en montrant leur impossibilité d’échapper à leur environnement, de couper les fils qui les retiennent. Le corps n’est ici qu’une marionnette dont l’artiste tire avec délectation les ficelles.


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