r e v i e w s

Laurent Le Deunff

par Camille Paulhan

L’exposition personnelle de Laurent Le Deunff au FRAC Basse-Normandie aura, sans doute, de quoi en surprendre plus d’un. Ceux qui attendaient au tournant ses dessins vaporeux d’accouplements animaliers et ses sculptures détournant des matériaux précieux (quartz, albâtre…) en objets volontairement rudimentaires seront déçus. On oserait même dire, au sens où pouvait l’entendre Gérard Gasiorowski dans sa série du même nom, que l’exposition de l’artiste a valeur de « régression ». Pour celle-ci, Laurent Le Deunff a choisi une économie de moyens frappante : une seule pratique, la sculpture par assemblage, un seul médium, le papier mâché, et une seule teinte s’accordant quelques légers écarts, le gris.

Utilisant un matériau inexorablement lié à des souvenirs de confection de masques ou de cadeaux de fête des mères, Laurent Le Deunff l’a délibérément laissé à l’état brut, non verni, non peint. Malgré la présence, çà et là, de quelques petites touches roses (provenant d’un matériau bien commun dont on taira le nom par bienséance) ou orangées, l’ensemble des œuvres évoque un univers pour le moins minéral, renforcé par l’utilisation de ciment en leur sein. Mais c’est encore et toujours de l’animal, sujet cher à l’artiste, dont il est ici question : divers coquillages, une galerie de taupe et des trompes d’éléphant constituent cette exposition que l’on pourrait croire à première vue hétéroclite. Les trois motifs ont cependant en commun le fait de n’être qu’une image de l’animal parti, évanoui ou encore mutilé : la taupe désorientée qui aura tenté de creuser des dizaines de taupinières au gré d’une déambulation erratique s’est enfuie par un des accès, les mollusques ont quitté le nid et laissent derrière eux leurs coquilles vides et les trompes d’éléphant semblent avoir été arrachées, telles de précieuses défenses, à leurs propriétaires.

Laurent Le Deunff Matelas doré, 2012. En arrière-plan : Noeud de trompe 5, 2012. Photo : Marc Domage.

Mais le trophée de chasse se fait impuissant : au mur, les trompes d’éléphant, loin de se dresser fièrement, ramollissent au point de pouvoir se lier en d’improbables nœuds marins. Les entrelacs des trompes rappellent les serpentins de sable que produisent sur les bords de mer les arénicoles, espèce que l’on aurait d’ordinaire du mal à relier à la supposée puissance de l’éléphant. Les sculptures faites de ces nœuds entremêlés semblent récrire l’histoire de l’enfant d’éléphant (d’une insatiable curiosité) qui n’aurait cette fois-ci pas réussi à résister au crocodile du conte de Rudyard Kipling, et lui aurait laissé son précieux organe. Les coquillages semblent quant à eux très éloignés des ormeaux nacrés ornant les dessus de cheminée, et leur aspect rugueux incite à les imaginer recouverts de berniques et autres lichens. Leur taille monstrueuse en regard des trompes qui les côtoient pourrait presque les rapprocher des nombreuses sculptures conçues par Laurent Le Deunff pour être exposées en plein air. Las ! Leur composition, malgré la solidité du ciment venant fortifier leur structure, semble être constamment sur le point de s’effriter.

De fait, l’exposition ne parle que d’un objet insaisissable, disparu, et dont ne resteraient que quelques traces sous l’aspect de vestiges mélancoliques. Même l’ultime œuvre, posée au sol sur le parquet, là où on pourrait l’oublier, ne vient que corroborer ces réflexions. Ce que l’on pourrait prendre de loin pour des lingots d’or disposés méticuleusement les uns à côté des autres révèle au second coup d’œil un motif déjà présent dans l’iconographie de l’artiste, le matelas. Mais miniaturisé, et recouvert de feuilles d’or, il prend ici l’apparence d’une stèle funéraire.

Matelas de plage, retour à la terre, safari à dos d’éléphant, ramassage de coquillages sur le sable… Autant d’images légères des vacances distillées par les agences de voyage, et que Laurent Le Deunff se plaît à savamment ruiner dans une exposition d’été plus qu’inquiète.