r e v i e w s

Jan Kopp

par Pauline Lisowski

Sous le silence 
Jan Kopp 
Villa du Parc 
25 janvier — 1er juin 2025 

Les œuvres de Jan Kopp naissent des rencontres avec des territoires, des lieux d’expositions et des personnes qui participent à ses travaux. Chaque moment de création résulte d’une attention à une poésie du quotidien et au soin qu’il porte à des éléments trouvés. « D’année en année, je me suis intéressé à des formes d’art participatives. J’essaie d’être attentif aux choses qui viennent vers moi. J’autorise les lieux à se révéler. » explique-t-il. 

Une sculpture réalisée en collaboration avec différentes personnes se déploie dans les premières salles du centre d’art. Un grand assemblage s’apparente à une construction, une structure ramifiée où des éléments en forme de tige sont reliés grâce à des systèmes d’accroche simple (serre-flexe, points de colle et plâtre). On perçoit un équilibre, des jeux de force, des fondations au sol et des appuis au mur, un certain chaos organisé. Les différents objets furent associés entre eux dans une joie partagée, une satisfaction d’inscrire son geste à l’édifice. Chaque participant de tout âge, venu en groupe ou en famille, a pu ajouter à l’œuvre une part de sa propre histoire et de son attachement avec l’élément de son choix. Les usages liés au territoire se révèlent au fur et à mesure que le regard plonge dans la structure où sont enchevêtrés toutes sortes de matériaux à la fois naturels et usagés. L’artiste a observé le processus de création partagé et a pris plaisir à découvrir la structure arborescente en train de prendre forme. « Quand j’invite à faire des choses à plusieurs mains, je ne contrôle plus rien, je découvre des choses insoupçonnées, des petits miracles et d’autres éléments que je dois retravailler. Je cherche à revitaliser la sculpture » précise l’artiste. Cette méthode de création est proche de sa considération pour « le jardin comme lieu d’observation, de surprise, de dosage entre faire et laisser faire ».  

Tout tient avec une économie de moyens techniques. Ce qui engage le visiteur à s’interroger sur son propre rapport à la fabrication, au bricolage, à la possibilité de créer avec des trouvailles et à croire aux potentiels des matériaux. Dans la troisième salle, l’installation se métamorphose en une forme plus organique, à l’image d’une arborescence, de lianes qui viennent chercher la lumière, s’étendre, s’entrelacer et trouver des appuis sur des éléments architecturaux. Des étudiants de l’école des Beaux-Arts du Genevois ont contribué à la fabrication de cet entrelacement de branches ramassées dans le parc où se situe le centre d’art. Jan Kopp considère les moments d’exposition dans un équilibre entre faire et défaire. Resteront en sa mémoire, l’expérience partagée, les liens qui se sont tissées entre les personnes qui ont collaboré à cette grande sculpture. On imagine l’énergie et les différents bruits qui ont résonné dans le centre d’art durant trois semaines de montage d’exposition, lors desquels chaque participant s’est pris au jeu d’associer son objet à celui d’autrui.  

Vue de l’exposition / Exhibition view of « Sous le silence » à la Villa du Parc, Annemasse, 2025. Photo : Aurélien Mole.

Les lignes qui se dessinent dans l’espace nous invitent à les suivre du regard et à se poser ensuite sur les murs blancs où les plus attentifs pourront percevoir les subtiles interventions murales intitulées L’écart du milieu. L’artiste a convié les membres de l’équipe du centre d’art à laisser leur empreinte digitale en tentant de l’inscrire au centre du mur. L’écart entre cette évaluation subjective et la mesure rectifiée est tracé par une ligne discrète. Ces ponctuations rendent perceptibles les présences de celles et ceux qui travaillent au sein du centre d’art. Dessin pour un grand ensemble nous fait ressentir une certaine musicalité, proche de celle de l’installation in situ. Les plus curieux oseront s’approcher du judas d’une porte pour contempler Le sémaphore. L’artiste a filmé un bouquet de ballons abandonné éclairé par une lumière artificielle : un instant poétique qui s’est présenté à lui, l’incitant à s’arrêter un moment. 

A l’étage sont rassemblées des œuvres rattachées à des pratiques d’atelier, proche du rituel domestique. Drumscape nous invite à regarder de près un tambourin en peau de chèvre, devenu surface d’un paysage cosmique. L’artiste a réhaussé de noir les taches présentes sur cette matière animale. Dispersée sur les murs, sa série des Cartons épluchés est disposée de manière à préserver une respiration pour le visiteur. Depuis quelques années, Jan Kopp s’approprie des cartons d’emballages alimentaires, retire toute inscription, les épluche et met au jour des textures qui étaient cachées par les inscriptions. Des éléments se révèlent dans les creux de cette matière qui a vécu. Certains présentent des formes circulaires, d’autres des graphismes, d’autres encore des silhouettes de plantes, des paysages. Jan Kopp expérimente toutes sortes de cuisine pour donner une autre vie à ce support avec lequel nous vivons au quotidien. A partir de ces épluchures qu’il réduit en poudre associées à un liant, il crée une teinte qu’il applique sur le carton et lui confère une couleur qui souligne les plis. Réalisées lors de sa résidence en Haute-Savoie, ses photographies Les sculptures en moins montrent des empreintes rondes de meulières du Mont Vouan, site préindustriel de carrières de meules servant à produire de la farine d’extraction. Il s’est attardé face à ces formes dont il percevait la beauté et donne ainsi à lire leurs reliefs. Là encore, chaque détail l’amène à cultiver sa curiosité pour les matières qui portent en elles les traces de nombreux gestes.  

La visite de cette exposition se déroule de surprise en surprise. Une sculpture en bronze de trois rameaux de pavots en fruits invite à observer de près ces plantes fragiles, aux nombreuses vertus. D’une certaine manière, l’artiste tend à pérenniser ces fleurs pleines de paradoxes. En passant à côté de ces pièces ancrées au sol, on songe à des moments de rencontres avec ces espèces communes, qui se sèment toutes seules grâce au vent qui dissémine ses graines. Plus loin, une branche de chardon conservée également dans le bronze repose dans l’angle de deux murs et fait écho à l’installation arborescente au rez-de-chaussée 

Ainsi, Jan Kopp voue une sensibilité à ce qui est déjà là, aux petites choses de la vie de tous les jours. Son exposition est une ode au collectif, au faire ensemble, à l’écoute de ce que les lieux et les gens ont à lui révéler.  

Vue de l’exposition / Exhibition view of « Sous le silence » à la Villa du Parc, Annemasse, 2025. Photo : Aurélien Mole.

Head image : Vue de l’exposition / Exhibition view of « Sous le silence » à la Villa du Parc, Annemasse, 2025. Photo : Aurélien Mole.


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