Air de repos (Breathwork)

Air de repos (Breathwork)
CAPC de Bordeaux
15 novembre 2024 — 4 mai 2025
Commissariat : Cédric Fauq
À une période de trouble concernant les changements climatiques, les questionnements liés à la pollution et aux particules nocives que l’air peut contenir, l’acte de respirer est devenu l’objet de considérations plus qu’urgentes. Considérer le musée comme le lieu du repos, tel est le point de départ du projet curatorial de Cédric Fauq. Espace de monstration, de présentation, de conservation, le musée est aussi régi par des contraintes de l’ordre de la qualité atmosphérique et permettrait de faire l’expérience d’un air pur. Il pourrait être l’espace où trouver refuge et prêter attention à son propre corps, à sa propre respiration. Ces réflexions sont au cœur de l’exposition. Y sont inscrites des œuvres qui interagissent avec l’architecture, sollicitant la curiosité et l’appréciation d’un moment de respiration. Dès l’entrée de l’exposition, l’installation vidéo de Sin Wai Kin & Sophia Al-Maria introduit les notions de souffle et de composition de l’air.
Pour concevoir « Air de repos », le curateur s’est intéressé à l’histoire du bâtiment, ancien entrepôt de denrées coloniales Lainé conçu par l’ingénieur Claude Deschamps, dont l’une des aspirations architecturales fut les caravansérails construits sur la route de la soie dès le ixe siècle, afin de proposer aux marchands et aux visiteurs des lieux de pause. L’exposition pourrait ainsi être considérée comme un espace-temps favorisant l’arrêt.
Suivant cette approche, les particularités architecturales du CAPC ont été à l’origine de l’intervention de Celeste Burlina. L’artiste, scénographe et docteure en ingénierie a pensé la scénographie en faisant entrer du mobilier d’espace public emprunté à la ville de Bordeaux. Des bancs et des lampadaires incitent les visiteurs à prendre le temps de s’asseoir, de lire et de méditer. Deux rideaux, l’un dans la nef et l’autre dans l’entrée, sur lesquels sont imprimés des dessins d’architecture et des photographies de fenêtre font référence aux bâches qui recouvrent les échafaudages lors de travaux sur les façades.
Valérian Goalec crée des partitions, tels des protocoles que les institutions culturelles sont invitées à interpréter, qu’il nomme « Act ». Sur la façade du bâtiment, il a fait inscrire le poids total des œuvres que comprend l’exposition. De fait, le visiteur peut se rendre compte de la dépense de matières pour un projet d’exposition. Une autre intervention paraît relever du quotidien du musée : en nous approchant d’une tasse à café placée sur un carnet de notes lui-même posé sur une chaise du musée, nous pouvons découvrir un tourbillon de café comme suspendu dans le temps. Une pluie de confettis se lit également comme l’incarnation du temps réel. Sur la façade du musée, Alexandre Khondji a fait retirer les lettres E, N et T du mot entrepôt, laissant apparaître « REPÔT » : un geste qui renvoie aux fonctions du lieu. L’œuvre d’Olu Ogunnaike joue, quant à elle, avec les variations de la lumière tout au long de la journée : une vidéo en streaming montre un arbre à proximité de l’entrée du bâtiment, filmé en direct par une caméra de surveillance. Nous sommes alors incités à regarder l’environnement dans lequel le musée se situe.

Des objets relatifs à l’air et à l’atmosphère se découvrent au fil de la visite. La présence de onze modules de climatiseurs, ne libérant que de l’air, nous amène à nous interroger sur l’appareillage relatif au contrôle des températures. Six enceintes insérées dans ces objets diffusent une bande-son ralentie afin de nous convier à tempérer notre rythme de visite. De même, les œuvres de Kobby Adi font référence à des instruments de mesure des conditions atmosphériques du musée. L’installation de Lea Porsager renvoie elle au devenir des éoliennes : trois pales d’une même éolienne découpée en plusieurs morceaux nous font penser à des parties de corps dont on peut voir l’intériorité.
D’autres œuvres invitent à des expériences de prise de conscience de l’importance de se sentir relié au vivant, de faire confiance à ses sensations. Mozz, boisson à base d’algues d’Abbas Zahedi fut créée pour l’exposition, cinquante cannettes sont à disposition du public dans un rythme hebdomadaire : une manière d’apprécier les plantes qui la composent, celles-ci contribuant au maintien des conditions atmosphériques habitables. Les œuvres d’Adam Farah-Saad, jouant sur l’olfactif, invitent à laisser son imaginaire s’exprimer.
Cédric Fauq a conçu le musée comme un lieu de « passage » et a cherché à le vider de ses images. Ce parti pris curatorial amène à un repos des yeux, et favorise les expériences sensorielles et la possibilité de circuler librement, en se laissant guider par la spatialisation des œuvres sonores de Cally Spooner. La série d’œuvres de Russell Perkins constitue un exemple de proposition incarnant ce fil conducteur : celle-ci est réalisée à partir d’impressions de motifs de cartes à gratter. On songe alors au geste qui consiste à retirer la couche supérieure de l’image pour tenter de gagner de l’argent : une activité propre à une pause dans le quotidien.
Ainsi, cette exposition invite à prendre le temps de se poser des questions quant à l’air que nous respirons, aux dispositifs d’accueil et aux atmosphères des lieux que nous traversons. Celle-ci implique de passer un certain moment à entrer dans les histoires de chaque œuvre. Elle nous incite à replonger dans l’histoire du lieu qu’occupe le CAPC et à prêter attention à chaque détail architectural.
L’expérience de l’exposition se poursuit également au travers d’un livre double vinyle pour lequel les artistes ont été invités à contribuer par une forme écrite, visuelle ou sonore ainsi que la publication du texte en français de Franco « Bifo » Berardi intitulé Respirer : Chaos et poésie, référence qui a donné naissance au projet du curateur.

Head image : Jan S. Hansen, Untitled, 2024. Courtesy of the artist and Simian, Copenhagen. Photo : Graysc.
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- Du même auteur : Safouane Ben Slama, Lydie Jean-Dit-Pannel, Archipel à Thouars, Stephan Balkenhol, Emily Jones,
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