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Giraud et Siboni

par Mathilde Villeneuve

Giraud et Siboni
Darth Busters

Le tube de l’été est déjà dans les bacs : un chant oublié des ténèbres joué par une chorale composée de 350 casques de Dark Vador, montés à quasi deux mètres de hauteur sur des pics noirs, telle une formation militaire. Cette armée de masques maléfiques distribués dans l’espace comme autant de clones neuroniques abritent en vérité des cartes auto-organisatrices, inspirées des systèmes biologiques de synchronisation, et reliés à un cerveau principal qui les régule. Baptisé LMD (The Last Manœuvre in the Dark, en écho au groupe des années 1980, OMD, pour Orchestral Manœuvres in the Fark), le futur blockbuster en forme de système autonome et fermé, a été élaboré en collaboration avec deux ingénieurs de l’Ircam et un musicien mixant les morceaux choisis – de Jean-Michel Jarre au heavy metal – selon une double logique de « darkification » et d’élaboration d’un tube. Au final, la machine elle-même est dressée pour détecter et analyser les vecteurs « noircissants » qui enverront en direct les « stimuli » – sortes d’impulsions électriques sensées garantir la prise de plaisir dans l’expérience. Mais au lieu d’immerger le spectateur dans une installation déjà digérée, Giraud et Siboni privilégient une fabrication laborieuse (mixage et sculptures en terre cuite) et un système informatique en perpétuelle gestation qui laissent le spectateur libre d’assister en direct à la montée en puissance de sa propre expérience. Proposant ainsi une alternative à la liquéfaction du sujet à l’intérieur d’un monde mondialisé ou, à l’inverse, à son retrait total, LMD questionne la place encore disponible à l’intérieur d’un espace ultra saturé.
À l’inverse du travail de Loris Gréaud qui met son armada de télécommunication au service d’un discours distancié, déjouant les mécanismes du spectaculaire et produisant des objets en zone inframince, le couple d’artistes privilégient une approche plus frontale qui produit de l’entertainement au lieu d’en parler. Éloignés des problématiques liées aux limites de l’institution et de l’œuvre d’art, s’ils profitent à leur tour de gros moyens de production et de communication, c’est pour produire une machine effective et non conceptuelle, pouvant concurrencer les produits de consommation de masse. Pour ce faire, Dark Vador, figure pop par excellence, unanime et banalisée, est poussée dans sa logique interne. Giraud et Siboni adoptent une méthode quasi objectivisante qui passe par la simple accélération des processus en jeu et le gonflement des matériaux choisis – de leurs proportions comme des règles physiques qui les régissent. Le procédé était d’ailleurs déjà en vigueur dans leurs pièces antérieures : qu’il s’agisse du concert punk où Fabien Giraud tentait de chorégraphier en direct le chaos des corps, ou du film de Raphaël Siboni qui interrogeait les limites du tunning, la surenchère frisait à coup sûr la néantisation de la pratique traitée. À son tour, LMD produit un dispositif en surrégime, un « objet zéro » qui frôle la limite de son point mort. Sauf qu’une fois de plus, tout est question d’équilibre : les artistes affichent un penchant pour la densité et l’intensité, version zones de contacts maximisées, plutôt que pour la taille et la quantité, version Guiness des records. Pour preuve, la sculpture qu’ils préparent pour la biennale de Santa Fe. À la contrainte imposée de produire une œuvre éphémère, les artistes répondent la disparition puis la restitution d’une sculpture : ils récupèrent une statuette en bronze figurant une scène typique du western Art, la fondent et fabriquent, à partir du matériau d’origine, une nouvelle sculpture qui intègre les histoires locales de kidnappings extraterrestres. La scène est alors drôlement modifiée, suggérant le traumatisme d’un viol martien. Puis tout revient en ordre à la fin de la biennale – la sculpture retrouvant comme par magie sa forme d’origine. Non seulement les artistes allient ainsi la tradition du bronze aux mythes des bonshommes verts, mais passent la tradition du bronze, dénigrée par les spécialistes, au filtre de l’art contemporain, promis désormais aux étagères des collectionneurs.
Entre l’enveloppe kitsch et la « recette noire laquée de l’art contemporain », le traitement des œuvres de Fabien Giraud et de Raphaël Siboni est avant tout motivé par la logique même de l’objet choisi, qu’il dilate, jusqu’au bord de l’implosion.

Mathilde Villeneuve

Fabien Giraud & Raphaël Siboni, LMD, au Palais de Tokyo, Paris, du 29 mai au 24 août 2008.
Fabien Giraud & Raphaël Siboni, The Abduction, à la biennale de Site Santa Fe, Nouveau-Mexique, États-Unis, du 22 juin au 26 octobre 2008.

Fabien Giraud & Raphaël Siboni, Last Manœuvres in the Dark, 2008. Terre cuite, intelligence artificielle, acier. Courtesy des artistes

Fabien Giraud & Raphaël Siboni, Last Manœuvres in the Dark, 2008. Terre cuite, intelligence artificielle, acier. Courtesy des artistes


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