r e v i e w s

Forever Young à Anne +

par Mathilde Villeneuve

Anne +


Never Again

Savant modèle de bienséance et d’équilibre, Forever Young se risque une fois de plus à l’exercice périlleux d’une exposition générationnelle. Mais la recette, aux accents a priori sages et homogènes – autant d’artistes femmes que d’hommes, de Français que d’étrangers et l’éventail complet des médiums représentés (peintures, dessins, installations, sculptures, vidéo, vidéo-performances) peut au final s’enorgueillir d’une proposition réussie. Faire valoir des problématiques de tout un pan d’une jeune génération d’artistes nés sous le signe duchampien, « l’éternel retour » nietzschéen annoncé par le commissaire d’exposition Ami Barak montre qu’un renouvellement constant de sens est à l’œuvre dans les travaux de ces artistes. Au processus de déplacement du ready-made, s’ajoutent pour la plupart des œuvres ici ceux de la transformation et du recyclage. À l’image de cette batterie de Stéphane Vigny  taillée dans des fûts de chêne ou encore de cette barrière rendue inefficace par sa composition en tubes PVC et à l’amputation de ses barres verticales. Chez Vigny en effet, le ready-made est troqué pour une réplique inexacte. C’est encore le cas de la poutre métallique IPE dont la fonction est neutralisée par une confection en plâtre, la détournant en simple I capital couché au sol de la galerie. La réappropriation passe aussi par celle d’œuvres icônes dans lesquelles les artistes réinjectent tantôt de l’expressionnisme – à la manière de Keren Benbenisty qui réinterprète en géant et en empreinte digitale la vague d’Hokusai et qui fait ailleurs tomber à la renverse le célèbre LOVE de Robert Indiana en un OVER désillusionné -, tantôt impriment de la distance et les font basculer dans un champ étranger. Nicolas Boulard plonge ainsi littéralement les plus grandes œuvres de l’art contemporain dans les effluves de l’industrie œnologique : les carrés de Malévitch sont reconstitués en sucre, les néons de Dan Flavin transformés en tubes à essai et remplis de liquides chimiques. Cette supercherie volontaire se poursuit encore dans les lithographies de Ciprian Muresan qui, tandis qu’on y verrait volontiers une pratique ludique innocente, tirent en réalité le portrait d’enfants roumains se droguant à l’alcool emprisonnés dans des sacs plastiques. Le ton est à l’heure du face à face historique chez le Serbe Vladimir Nikolic qui retransmet la vidéo d’origine du parcours du roi des Serbes en 1934, le jour de son assassinat, à Marseille, à côté de celle retraçant aujourd’hui exactement le même chemin. Le même artiste s’est fait connaître pour avoir fait venir une pleureuse sur la tombe de Duchamp. Mais, pas question pour autant ici de se laisser aller aux nostalgies passéistes et conservatrices, le spectateur se laissera guidé au contraire par l’onde de choc entamée par la vague de Keren Benbenisty et qui se poursuit dans tout le centre d’art, de l’objet aplati, explosé et plaqué contre le mur, alors défiguré et ramené à ses matériaux de construction de Sylvain Rousseau jusqu’aux géants carrés noirs de Clément Rodzielski, adossés au mur en escalier, en passant par le tuyau en colimaçon déroulé du plafond de Liu Chuang recueillant les gouttes de pluie. On profitera aussi des quelques clins d’œils formels auxquels le commissaire semble avoir succombé, telles que ces aquarelles de Beth Campbell représentant des bouches d’égouts accrochées à côté des plaques grises du centre d’art lui-même ou encore ses pots de cactus en peinture avoisinant d’autres, en nature cette fois. Autant d’écartèlements de sens, de matériaux et de forme entre l’objet d’origine et sa copie qui font de ces artistes émergents autant de récidivistes postmodernes, toujours aptes à innover dans la continuité.

Forever Young, à Anne +, Ivry-sur-Seine, du 16 octobre au13 décembre 2008. Avec Keren Benbenisty, Nicolas Boulard, Beth Campbell, Liu Chuang, Aurélie Dubois, Chourouk Hriech, Ciprian Muresan, Vladimir Nikolic, Ana Prvacki, Clément Rodzielski, Sylvain Rousseau et Stéphane Vigny

Clément Rodzielski, Sans titre, 2008. Dessins trouvés, MDF. Courtesy de l'artiste et Cardenas Bellanger, Paris. Photo Rémy Lidereau © ANNE+

Clément Rodzielski, Sans titre, 2008. Dessins trouvés, MDF. Courtesy de l’artiste et Cardenas Bellanger, Paris. Photo Rémy Lidereau © ANNE+


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