r e v i e w s

Buy-Sellf au CAPC de Bordeaux

par Paul Bernard

Retour vers le futur

Apparu en 1999 avec le mythique catalogue de vente par correspondance d’œuvres d’art, le groupe Buy-Sellf a promu, diffusé et fédéré toute une génération d’artistes. Il continue aujourd’hui ses activités sous la forme d’une structure d’aide à la production à Bordeaux, et d’une galerie,Buy-Sellf Art Club, située à Marseille. Si les premiers artistes labellisés Buy-Sellf avaient une pratique, catalogue VPC oblige, axée sur l’objet usuel et son détournement, c’est aujourd’hui principalement aux sculpteurs que le groupe propose ses services. Une grande partie de la sculpture française est ainsi passé entre ses mains. Buy-Sellf a également assuré le commissariat d’une dizaine d’expositions, d’Atlanta à Montréal en passant par la

Au premier plan: SYLVAIN ROUSSEAU Bureau (de la certitude), 2009, Techniques mixtes, 150x85x81cm, Courtesy de l’artiste.  Au milieu: STÉPHANIE CHERPIN Daddy’s Little Girl ain’t girl no more, 2009, Bois, peinture, 350x250x250 cm, Production Buy-Sellf.  Au fond à gauche:  LILIAN BOURGEAT  Objets Extraordinaires (Phare), 2006, Techniques mixtes, 120x90x40 cm, Collection Le Consortium, Dijon.  Sur le mur du fond:  ANITA MOLINERO Ecoute la croute II, 2010, Polystyréne extrudé, Dimensions variables,Production Buy-Sellf avec le concours de l’entreprise Knauf Insulation, Courtesy Galerie Alain Gutharc, Paris

Vue de l’exposition Buy-Sellf, CAPC, Bordeaux

Suisse. C’est la combinaison de ces deux savoir-faire, savoir produire et savoir montrer, qui est à l’œuvre dans chacun de leur projet, a fortiori dans celui proposé par Frédéric Lathéradeau CAPC. Les dix ans du groupe sont l’occasion d’un retour sur leur activité. Le voyage dans le temps que propose le titre de l’exposition est ainsi à prendre autant comme grille interprétative des œuvres et de l’accrochage que comme un aperçu de l’histoire du groupe, dans un mouvement d’allers et retours.

L’espace qui leur est dévolu s’y prête bien. Accueilli magistralement par le lustre en néon de Stéphane Vigny, le spectateur est contraint à un va et vient entre les deux espaces tout en longueur qui se déploient de part et d’autre de l’entrée de l’exposition. Plongée dans le noir, la visite s’accompagne tout le long d’une sculpture murale d’Anita Molinero qui en fournit l’arrière plan. L’absence d’éclairage spécifique laisse aux pièces lumineuses le soin de mettre en valeur les autres. On retrouve ici l’usage utilitariste de l’œuvre-objet du catalogue. La peinture de Damien Mazières s’entrevoit sous la lumière de Mathieu Mercier, de même que les dessins de Jérémy Profit prennent les teintes de la sculpture technoïde de Frédéric Plateus. Les deux extrémités de l’exposition sont marquées par des pièces franches et agressives. Coté droit, la vidéo Sylvie de Nicolas Milhé montre une trentaine de participants du « maillon faible » réclamant l’élimination d’une Sylvie, n’en finissant plus de scander son nom. À l’exact opposé, c’est la pièce Antipur de Bruno Peinado qui termine le parcours. Un stroboscope éclaire hargneusement de grandes formes géométriques. Le mythe moderne de la pureté est ici corrompu par la spectacularisation de sa mise en scène. Le caractère violent et racoleur de ces deux salles les rend proprement insupportables et repousse le spectateur vers le centre de l’exposition.

Chaque voyage dans le temps est l’occasion de fantasmer le futur. Le moins qu’on puisse dire c’est que les œuvres choisies en proposent une vision apocalyptique. Le progrès, au cœur de la conception temporelle de la modernité, conduit ici à sa propre ruine, comme en témoigne la photographie Askiatower de Nicolas Moulin : l’architecture totalitaire d’un hôtel de Pyonyang apparait dans un décor désolé, rappelant l’ultime scène d’un autre voyage dans le temps, La Planète des Singes. C’est, plus loin, le simulacre de feu de camp de Briac Leprêtre, inexorablement en train de mourir, qui évoque l’agonie des grands récits tout autant que la robinsonnade. Stéphanie Cherpin et Wilfrid Almendra trouvent une certaine proximité dans leur invocation agressive de la modernité pavillonnaire.

La présence de nombreuses pièces hallucinogènes souligne la dimension psychédélique de toute science-fiction. La perception est altérée par les dessins de Vasarely ou l’arc en ciel au repos de Laurent Perbos. Une atmosphère d’après-fête légèrement désabusée se dégage de l’ensemble. Ici, la boule a facette de Guillaume Poulain tourne au ralenti, là Vincent Laval fait jouer des cafards et des capsules de bière. On reconnaît l’ironie et le caractère de mauvais garçon qui identifiait Buy-Sellf à ses débuts. Retour vers le futur évite, dans ce sens, les travers de l’exposition consensuelle que peut provoquer la reconnaissance muséale. Ni rétrospective, ni thématique, ni à proprement parler narrative, l’exposition propose des agencements, se risque à l’anachronisme, reflétant la vitalité et l’audace du groupe.

Buy-Sellf

Retour vers le futur

CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux

6 février- 16 mai 2010


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