Fanny Gonella

par Vanessa Morisset

Après 23 ans sous la direction de Béatrice Josse, puis un fonctionnement collégial de deux années, le 49 Nord 6 Est — FRAC Lorraine est depuis le mois de février dirigé par Fanny Gonella. Auparavant à la tête de la Kunsterhaus de Brême, elle souhaite avant tout montrer la pluralité des approches de l’art contemporain.

Photo : Céline Gaille

Vous arrivez après une période durant laquelle la structure a fonctionné sans direction, avec de nouvelles méthodes de travail qui se sont peu à peu mises en place. Comment pensez-vous conserver quelque chose de cette expérience de travail collectif qui a même été thématisée en 2017 dans l’exposition « Ressources humaines » (au sein du cycle de trois expositions organisé avec les FRAC Champagne-Ardenne et Alsace et intitulé Le Travail à l’œuvre) ?

C’est important de développer ce travail collégial, y compris entre les trois FRAC du Grand Est, en assurant la circulation entre les différents types de métiers ou d’activité, grâce au dialogue entre les équipes et entre les directrices, évidemment. Les équipes se sont déjà rencontrées bien sûr mais pas si souvent que cela, ne serait-ce que pour des raisons très concrètes : les distances sont relativement longues et quelqu’un doit être présent au FRAC lorsqu’il est ouvert au public. Les séminaires inter-équipes en petits groupes vont être développés, pour faire en sorte de partager nos expériences sur des points spécifiques. Nous sommes en train de construire plusieurs choses à la fois, un projet pour chaque FRAC, car chacun reste une entité singulière, ainsi qu’une manière de travailler ensemble, autour de formats et projets sur lesquels il faut penser une marge de manœuvre, une flexibilité, pour que les artistes puissent eux-mêmes proposer des formats qui seront forcément différents de ce qu’on imagine au départ.

Mais cette association des trois FRAC ne reste-t-elle pas théorique, notamment lorsqu’il s’agit d’expositions conjointes, étant donné que peu de personnes ont la possibilité de se déplacer dans les trois lieux géographiquement éloignés ?

La question de la circulation est une donnée pratique incontournable qui n’est pas simple à résoudre, ni pour nous, ni pour tous ceux qui travaillent pour la région. Mais peut-être que certains projets artistiques vont donner des pistes… Dans notre domaine, nous avons l’avantage de pouvoir partir sur des choses inventives aux formes souvent imprévisibles. C’est bien pourquoi nous n’allons pas forcément organiser des expositions conjointes dans les trois FRAC. Par exemple, à partir d’une thématique, l’un peut préparer un colloque pendant que l’autre propose une exposition et le troisième un programme de performances. Il y a de multiples propositions à imaginer. Et puis ces inconvénients sont aussi des avantages. Tout d’abord, du fait de ces grandes distances, il y a beaucoup de territoires à irriguer, d’où la nécessité de ces trois FRAC. Cela pousse aussi à se demander comment les personnes, et pas seulement dans l’art, se déplacent sur le territoire. Nous sommes en train de réfléchir à la manière d’articuler nos différences car le territoire du Grand Est vient d’être fondé. Mais, selon moi, il est important de ne surtout pas chercher à lui donner une identité. Il est divers et c’est cette diversité qui doit être explorée, pas unifiée. Il est plus intéressant d’agir de manières complémentaires, de faire coexister différents regards sur l’art qui est fait aujourd’hui.

« You remind me of someone », FRAC Lorraine, photo : Fred Dott.

Il faut rappeler que vous avez été nommée en même temps que vos deux autres collègues à Reims et à Sélestat, dans l’idée d’entreprendre des actions concertées. D’un point de vue plus personnel, quelles sont vos envies par rapport à ce contexte ?

Nous adaptons les axes mentionnés dans le cahier des charges lors de la candidature de notre trinôme pour pouvoir entreprendre des choses qui nous semblent importantes à toutes les trois. Nous nous répartissons donc le travail à partir d’axes redéfinis en commun et, en ce qui me concerne, je vais commencer par une réflexion sur la collection. Son développement est un point que je considère essentiel parce qu’il affecte toutes nos autres activités et pose la question : comment développer une collection lorsqu’on est un lieu de diffusion et pas un musée ? La collection d’un FRAC est faite pour exister à la fois dans les murs et hors les murs. Ici, nous organisons presque 20 expositions hors les murs par an, sur le territoire lorrain, par exemple dans des groupes scolaires ou sur des sites industriels, c’est-à-dire dans des endroits très différents les uns des autres et parfois très différents des lieux d’expositions plus classiques. La question de la collection est d’autant plus essentielle au FRAC Lorraine qu’elle a une histoire spécifique, marquée par les choix de Béatrice Josse. Je ne pense pas qu’un autre FRAC ait autant d’œuvres immatérielles ou protocolaires, à réactiver à chaque présentation. Ce sont pour le coup des pièces qui voyagent facilement ! Mais pour les développements à venir de la collection, on peut aussi penser à des œuvres qui pourraient être distribuées d’une autre manière, ou bien pour lesquelles la conservation, la permanence de la forme est pensée autrement. Je n’ai pas de réponse toute faite mais c’est quelque chose auquel il est important de réfléchir. Et puis il y a une forte présence des artistes femmes et une dimension clairement féministe dans la collection. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai candidaté. Enfin, au-delà de la poursuite du développement de la collection, j’ai surtout envie de comprendre la réalité de la situation de ce territoire, de me l’approprier et de permettre au public, dans n’importe quel format d’exposition, de trouver un espace pour développer son regard et ses goûts, de formuler son opinion. Il y a de multiples manières, non-linéaires, d’approcher les œuvres et si moi je ne peux proposer que la mienne, je peux faire appel à mes collègues pour en suggérer d’autres. Voilà ce que j’aimerais pouvoir transmettre : la nature plurielle de l’œuvre d’art qui est une surface de projection, une image, une forme, une expérience mise à la disposition de chacun, sans forcément attendre en retour quelque chose du public ni exercer aucune pression… Un type d’expérience qu’on a un peu oublié et qui fait du bien.

Auparavant, vous dirigiez un centre d’art en Allemagne, percevez-vous déjà des différences entre les manières de fonctionner ou dans le rapport au public ?

Après 15 ans à l’étranger, je suis en train de redécouvrir comment travailler ici avec les collègues et l’équipe car les structures ne fonctionnent pas de la même manière. Les dénominations des postes ne sont pas les mêmes. En Allemagne, il y a des « curateurs » et des « assistants curateurs » alors qu’ici on est « chargé d’exposition », « chargé d’édition », « chargé de la programmation », ce qui implique une compréhension du travail différente. Concernant le public, de toute façon, même d’une région à l’autre, cela varie. Avec mes collègues des autres FRAC du Grand Est, nous avons lancé un nouveau programme de visites guidées à trois qui s’appelle Regards croisés dans lequel, pour mettre en avant l’idée qu’il n’y a pas qu’une manière de parler de l’art et inviter chacun à forger son propre regard, sa propre sensibilité face aux œuvres, chacune donne son interprétation. Il est intéressant de voir que le public a réagi très différemment à Metz et à Reims alors que la situation était la même.

« You remind me of someone », FRAC Lorraine, photo : Fred Dott.

Justement votre première exposition à Metz orchestre une sorte de rencontre…

Effectivement, c’était l’occasion de faire connaissance puisqu’elle a ouvert trois semaines après mon arrivée ! J’ai repris la dernière exposition que j’avais organisée à Brême qui, entre temps, a pu grandir grâce aux artistes qui ont élaboré de nouveaux projets pour la seconde partie, et être augmentée d’œuvres de la collection du FRAC. Cela aboutit à une nouvelle exposition où il s’agit donc de faire connaissance : pour le public, avec ce qui m’intéresse dans l’art et, pour moi, avec la collection. Mais il s’agit aussi de voir ce qui se passe lorsqu’on suscite la rencontre entre deux types d’affinités artistiques différentes, quels sont les points d’accroche, les ponts entre les réflexions autour de l’art. Il y a forcément, comme dans chaque rencontre, quelque chose qui reste insaisissable, mais personne ne comprend jamais tout d’une œuvre d’art. L’exposition est conçue autour des notions de ressemblance, d’imitation et d’empathie ; j’ai souhaité qu’on puisse y découvrir des choses nouvelles, ou redécouvrir dans un nouveau contexte des œuvres peut-être déjà vues, sans se sentir obligé de tout expliquer, d’avoir toutes les réponses, pour finalement mettre l’accent sur la diversité des points de vue…


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