r e v i e w s

Lang/Baumann – Vincent Ganivet au Confort Moderne

par Raphael Brunel

Le Bel accident.

Versus Mode

Partir d’un a priori artistique : réunir Lang/Baumann et Vincent Ganivet dans une exposition croisée ne force pas l’évidence, à moins que l’opération ne cherche à jouer sur les antagonismes, à créer des effets de discontinuités, de clashs des genres et des modes opératoires de production des œuvres. D’un côté, Sabina Lang et Daniel Baumann créent des formes lisses et bien produites, des creusets où se fondent non sans ambigüité l’art, le design et l’architecture. Les couleurs pop et les rondeurs seventies constituent un langage plastique qui, s’il évoque la fausse nostalgie d’une époque disparue, semble dédié à l’établissement d’un environnement beau, agréable et confortable, rappelant ainsi l’enseignement du Bauhaus qui prônait l’indistinction entre les arts plastiques et décoratifs, l’art et le quotidien. Les titres de leurs œuvres reprennent régulièrement les qualificatifs perfect ou beautiful, qui, dans la surenchère de l’expression de leurs intentions, révèlent la dimension critique de leur travail. De l’autre côté, Vincent Ganivet affectionne les dégâts de plomberie, les fusées de détresse, la surface rugueuse du béton, l’atmosphère de chantier et le travail manuel, faisant reposer le tout sur des jeux d’équilibre souvent miraculeux. De prime abord, ses œuvres arborent un aspect « primitif » qui évoque moins l’histoire de l’art que le pragmatisme et l’empirisme du constructeur amateur.

L&B

De ces descriptions sommaires semble s’imposer une évidence : sur le papier, ces deux travaux fonctionnent selon des esthétiques tout à fait contradictoires. Mais en pratique, les choses sont quelque peu différentes. Les préoccupations de L/B et Ganivet semblent en effet se recouper dans le rapport qu’ils entretiennent avec le geste artisanal, à des échelles certes différentes, puisque les premiers réalisent tranquillement leurs objets, en prenant le temps nécessaire, dans leur atelier-fabrique, tandis que le second opère sur un mode plus solitaire et débrouillard, plus proche de la recherche expérimentale et instinctive que du professionnalisme de L/B. La dimension décorative de certaines œuvres de L/B et le goût pour l’architectonique et les techniques de constructions traditionnelles de Ganivet rappellent le mouvement Art & Crafts dont l’ambition, à l’heure de l’industrialisation florissante de l’époque victorienne, était de fusionner l’art et l’artisanat. Mais loin du paternalisme qui accompagnait ce mouvement, L/B semblent plutôt mettre en tension la problématique de l’art décorative et de l’idéologie qu’il véhicule. Quant à Ganivet, les titres et les matières de ses œuvres renvoient clairement au monde industriel et à la modernité dont la radicalité a en grande partie gommé la préciosité ornementale du modern style.

Vincent Ganivet

Contre toute attente, l’exposition du Confort Moderne dégage une certaine harmonie. L/B s’éloigne des ambiances colorées et zébrées des seventies pour présenter deux imposants escaliers à la monochromie sobre et virginale, répondant aux proportions volumineuses du lieu. Si cette figure s’est multipliée dans l’art contemporain, elle s’attache ici à prolonger les préoccupations de L/B pour l’architecture tout en proposant un modèle aérien qui fonctionne comme un all-over dilatant l’espace vers un hors-champ imaginaire. Complètement désaxés, ils semblent desservir une construction absurde et invisible qui s’inspirerait des jeux optiques des gravures de Maurits Cornelius Escher. Vincent Ganivet relève le défi qu’impose la hauteur du lieu en construisant un entrelacs d’ogives et d’arcades en parpaings. Rappelant l’architecture gothique, cette sculpture, ne tenant que par la poussée des forces, fait planer la possibilité d’un danger sur l’exposition, comme si, à la manière d’un château de cartes, elle pouvait s’effondrer à tout moment, anéantie par la simple respiration du spectateur. Si fragile qu’elle apparaît presque comme un mirage. Plus loin, une poutre de béton morcelée attend son heure pour révéler sa présence, pour donner signe de vie, avant de retourner pour un moment à son habituelle et pesante léthargie. Chacun à leur manière, L/B et Ganivet présentent des œuvres traversées par un mouvement mélancolique, qui les révèle comme des formes esseulées, presque fantomatiques, comme les ruines savantes d’un monde disparu.

Lang/Baumann – Vincent Ganivet, Le Bel Accident, au Confort Moderne, Poitiers, du 25 septembre au 20 décembre 2009.