Élodie Seguin à la BF15, Lyon
Sur les parois de La BF15, l’œuvre d’Élodie Seguin s’esquisse comme une traînée lumineuse qui épouse le faisceau d’un rayon venu de l’extérieur. La Transparence sans transparence – à la fois peinture et sculpture – prolonge les réflexions de l’artiste sur un acte pictural qui consisterait à rendre compte du phénomène visuel évoqué dans son titre. Pour ce faire, et selon le modèle de la marqueterie, elle procède par un emboîtement de teintes qui donne l’illusion parfaite d’une superposition de couleurs. Ce travail méticuleux, consistant à manipuler les tons qu’elle fabrique pour reproduire des jeux d’ombres et de lumière, traduit la capacité de l’artiste à fixer des manifestations immatérielles.
Élodie Seguin, dans la lignée d’une tradition minimaliste, s’attache à saisir ce qui est absent ; ce qui a été enlevé, ce qu’on a choisi de ne pas mettre, les hésitations, l’emplacement et la position – l’ensemble des à-côtés qui font en réalité l’œuvre. Habitée par l’idée de soustraire, elle rend palpables les creux et les vides qui deviennent des éléments constitutifs de sa pratique. C’est dans cette mesure que l’espace dans lequel elle intervient tient une place essentielle dans l’élaboration de ses pièces.
Au premier regard, il paraît impossible de définir les contours des œuvres d’Élodie Seguin. Celles-ci font corps avec l’espace qui les voit naître et ce dernier se trouve façonné par elles en retour. Pendant plusieurs années, l’artiste avait d’ailleurs acté le fait qu’aucune de ses propositions plastiques ne serait montrée en dehors de sa destination originelle. Cette indistinction volontaire prend à nouveau tout son sens dans La Transparence sans transparence, conçue spécifiquement pour l’exposition« Shaped Colors ». Cette installation solaire vient dessiner les reflets lumineux qui s’abattent sur le mur à un moment précis de la journée, témoignant ainsi de la perméabilité des pièces à leur contexte.
Si, dans cette première salle, on a le sentiment de faire face à une œuvre en constante reformulation, prête à se mouvoir selon les heures du jour, la série, Les Contraintes, répond à ce même protocole. Ces sculptures murales thermoformées font écho au toit vitré de la seconde pièce qui les accueille et rend une fois de plus poreuse la relation de ses travaux au lieu dans lequel ils se nichent. Les formes peintes, qui prennent place dans les logements ménagés à cet effet, laissent une impression de flottement pourtant parfaitement maîtrisé. L’aléatoire n’a pas entièrement sa place dans la pratique d’Élodie Seguin, qui va jusqu’à dompter le vide. Ces bas-reliefs suggèrent un principe de potentialité cher à l’artiste, laissant imaginer que chaque composition aurait pu être différente. Une fois de plus, transparaît ici l’idée que les choix qu’elle opère s’apparentent à des constituants non physiques de l’œuvre. Par ce geste industriel, elle introduit une dimension ornementale dans ces pièces que seules les notes de couleur distinguent. La pellicule thermoformée qui vient épouser les blocs de bois représente pour elle un dessin en creux que l’on retrouve dans Peintures découpées.
La surface dentelée qui semble mimer les nervures du métier Jacquard constitue pour l’artiste un répertoire de formes qui nous apparaissent en négatif. Un nuancier de couleurs s’offre à nous par l’intermédiaire d’une couche de papier évidée. Née de l’idée que l’on a souvent accès à un paysage par le biais d’une superposition d’éléments qui éludent des morceaux de l’image, cette œuvre met en lumière un phénomène visuel qui fait que les choses se livrent toujours à nous à travers d’autres. Cette mise à distance engendrée par la séparation de la forme et de la couleur ajoute du relief à cette pièce tout en lui conférant une dimension sculpturale. Celle-ci renvoie également à un nuancier auquel l’artiste consacre actuellement une partie de ses réflexions. À l’origine de la fabrication des teintes qu’elle utilise, cet outil serait pour elle une manière d’archiver le processus de composition de ces couleurs devenues irremplaçables.
Cet entêtement à figer les étapes de la production répond à un besoin supplémentaire pour l’artiste “d’alerter”, selon ses termes, sur le fait que c’est ce qu’on ne voit pas qui compte. La construction, l’ellipse, la lacune, le manque sont autant d’éléments immatériels qui conduisent à une forme. Dans cette exposition, elle fait – comme souvent – le choix de dissimuler des pièces dans les espaces de bureaux ou par un positionnement qui les rendrait presque invisibles. Son attachement à “la chose absente” ne fait que croître au fil de ses recherches qui portent tour à tour sur l’obtention d’une transparence picturale sans recouvrement ou sur la technique du thermoformage pour créer des formes plastiques aériennes.
Ce qui n’est pas directement présent et pourtant perceptible pourrait être un lien ténu à la musique. Par la structure de ses compositions, la dimension sérielle de sa pratique ou encore la rythmique dans ce qui peut s’apparenter à des partitions murales, la teneur musicale de son œuvre semble poindre dans l’exposition Shaped Colors. L’inaperçu dans les peintures-sculptures d’Élodie Seguin participe toujours pleinement de son écriture.
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Head image : Elodie Seguin, Contrainte I, 8 x 144 x 143 cm ; Contrainte A, 8 x 143 x 48 cm. Photo La BF15.
- Publié dans le numéro : 108
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- Du même auteur : David Douard, "Crumbling the Antiseptic Beauty", Caroline’s Home à la Maison Pop, X · A CAPITAL DESIRE à la Maison du Danemark, Théo Casciani au Frac Pays de la Loire, Cindy Bannani au CNAC Grenoble,
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