r e v i e w s

1966-79

par Nicolas Giraud

IAC, Villeurbanne, du 24 mai au 11 août 2013 *

Pensée par Laurent Montaron, l’exposition « 1966-79 » se joue du programme anniversaire qui célèbre les trente ans des Frac. Évitant l’écueil commémoratif, l’exposition enjambe les trois décennies écoulées et produit un court-circuit entre plusieurs époques. Les pièces sont récentes, parfois juste sorties de l’atelier, au bord de cette relation qu’entretiennent les Frac avec la création contemporaine. Dans le même temps, en utilisant comme titre les années de naissance des artistes présentés, le commissaire renvoie aux années soixante et soixante-dix, une sorte de temps matriciel pour la plupart des œuvres montrées. Si ce choix particulier reflète la singularité de l’IAC, hybridation entre un centre d’art et le Frac Rhône-Alpes, il s’agit également d’un dispositif signifiant : pour une partie des artistes, le mouvement des œuvres se joue dans une mise en tension d’enjeux plus anciens, comme une forme différée de contemporanéité.

Par les matières et les objets qu’elles mobilisent, les pièces articulent un décalage récurrent, à la fois reprise du geste des avant-gardes et enregistrement de son usure. Le passé est ici présent comme forme mais souvent comme forme vide. Les motifs d’origine sont convoqués mais seulement esquissés, tels des spectres. Ainsi de l’interrupteur de Jordan Wolfson, des draps d’hôtel de Jason Dodge ou de l’autochrome de Dove Allouche ; ils sont avant tout des formes sans inscription. Les matériaux reviennent d’une œuvre à l’autre, frôlant parfois le formalisme, tel l’usage pseudo-classique du 16 mm qui tend parfois à devenir l’instagram de la forme film. C’est Margaret Salmon qui évite le mieux ce poncif avec un film incertain mais riche, à la frontière du documentaire, autour d’une zone où cohabitent hommes et singes. Ici la manière du film semble inachevée mais cette ouverture joue avec justesse dans l’économie de l’objet.

L’œuvre de Laurent Montaron est emblématique de cette mécanique de l’exposition. Construit comme une vitrine vide accrochée au mur, l’objet se donne comme indécis, à la fois meuble et sculpture. Le fond de la vitrine est composé d’un miroir que l’artiste a réalisé lui-même, un objet à la frontière entre l’artisanat et la production industrielle. Il est placé à l’oblique si bien que l’on se ne s’y voit qu’après coup, fonctionnant en quelque sorte de manière rétrospective. Si l’on revient face à lui, il ne nous montre à nouveau que le mur et un néon placé derrière lui, un dispositif qui pose l’un des leitmotiv de l’exposition : la difficulté à produire une image.

La remobilisation lacunaire des années soixante et soixante-dix n’est ni naïve, ni accidentelle ; elle articule l’écart entre le présent et la somme sans cesse croissante de son archive. Dans le jeu avec les néo-avant-gardes, les pièces visent aussi, par ricochet, un rapport à l’épuisement de cette mémoire et la distance avec une matière plus ancienne. Ainsi, parmi les artistes, nombreux sont ceux qui emploient, au-delà du langage de l’Arte Povera ou de l’art conceptuel, des formes ou des thèmes qui appartiennent aux premières avant-gardes, à la révolution industrielle, à la naissance de la photographie, à l’histoire de l’esclavage… Il s’opère dans l’exposition un mouvement qui n’est pas sans rappeler le parcours de Seth Siegelaub qui, de l’art conceptuel s’est tourné vers l’histoire politique et économique avant de se consacrer à l’étude des tissus et des étoffes, dégageant à rebours de ce terrain pré-industriel, les éléments-clés de la contemporanéité, de l’ordinateur à la géopolitique post-coloniale.

Dans un temps qui n’est plus celui de l’urgence révolutionnaire, les formes convoquées s’inscrivent dans une généalogie critique. Avec patience, les artistes réemploient la panoplie de gestes dont ils ont hérité pour construire un ensemble qui comprendrait la contemporanéité.

  • Commissariat : Laurent Montaron *
    Avec Dove Allouche, Katinka Bock, Ulla Von Brandenburg, Jason Dodge, Alexander Gutke, Daniel Gustav Cramer, Guillaume Leblon, Jan Mancuska, Margaret Salmon, Bojan Šarcevic, Lonnie Van Brummelen & Siebren De Haan, João Maria Gusmão & Pedro Paiva, Jordan Wolfson, Laurent Montaron.