Sharon Hayes

par CS

Après une première apparition remarquée à la Biennale de Venise dans le pavillon danois en 2011, Sharon Hayes (1970) présente Ricerche: Three (2013) dans le cadre de l’exposition internationale « Il Palazzo Enciclopedico ». Récompensée par une mention spéciale du jury de la biennale, cette vidéo inédite, largement inspirée du film documentaire de Pier Paolo Pasolini, Comizi D’amore (1965), rassemble plusieurs problématiques récurrentes chez l’artiste américaine. Appliquant la méthode du réalisateur italien, Sharon Hayes interroge, avec malice, des étudiants, artistes, chômeurs et amis, en groupe, sur leur rapport à la sexualité opérant par ce biais une confusion entre discussion et performance fictionnalisée. Premier chapitre d’un projet en devenir, cette référence au cinéma italien militant propose une réflexion critique sur les frictions entre le public et le privé, le collectif et l’intime. Le débat provoqué par les questions dépasse rapidement le sujet initial pour aborder en creux les questions d’identité, de liberté ou de position de chacun au sein dans la société.

Sharon Hayes - 'Ricerche: three', 2013. Single channel HD video, 38 minutes. Edition of 5 + 1 AP. HAYES-2013-0089. HD video still. Participant: Octavia Cephas.

Sharon Hayes – ‘Ricerche: three’, 2013. Single channel HD video, 38 minutes. Edition of 5 + 1 AP. HAYES-2013-0089. HD video still. Participant: Octavia Cephas.

Après avoir étudié l’anthropologie, les arts visuels et la performance, Sharon Hayes développe depuis une quinzaine d’années une œuvre qui revisite le champ de l’art politique en proposant des connections inédites entre l’Histoire, l’activisme, le désir et l’amour. Ses performances, vidéos, photographies, installations et œuvres sonores, décryptent les mécanismes du discours dans l’espace public ainsi que l’impact des mots dans la construction de l’imaginaire collectif au regard des luttes non résolues. L’artiste détourne également les codes de la prise de parole publique au profit d’un contenu privé. I March in the Parade of Liberty but as long as I love you I’m not free prend la ville de New York et une foule de passants anonymes comme cadre d’une performance où, armée d’un mégaphone, elle déclare son amour à un destinataire inconnu. L’espace public est le théâtre privilégié des actions, individuelles ou collectives, de Sharon Hayes qu’elle déplace ensuite à l’intérieur du musée par le biais d’installations vidéo et sonores. An hear to the Sounds of our History, rassemble sa collection personnelle des pochettes vinyles des plus grands discours prononcés entre 1948 et 1984 incluant John F. Kennedy, Martin Luther King Jr, Malcolm X, Angela Davis ou Eleanor Roosevelt. Cet ensemble permet de déterminer quelles voix furent prédominantes par rapport à celles que l’histoire a négligées. Qu’elle redise intégralement – de mémoire et souvent à la première personne – le discours de Ronald Reagan ou de Patty Hearst lorsqu’elle fut kidnappée par The Symbioneses Liberation Army, Sharon Hayes s’intéresse à la nature performative du langage en lien avec des événements historiques récents. Anticipant le mouvement de contestation pacifique Occupying Wall Street, son œuvre emblématique In the Near Future est révélatrice des années 2000 alors que de nombreux artistes réalisent des vidéos de manifestation, réactivent des gestes de protestation ou travaillent sur l’iconographie des révoltes, prenant en considération la privatisation croissante de l’espace public où l’expression d’une opposition est de plus en plus limitée ou contrôlée. En 2009, Sharon Hayes réalise Yard (Sign), en hommage au théoricien du «happening» et du rapprochement entre l’art et de la vie. Tout comme Allan Kaprow, Sharon Hayes souhaite outrepasser le champ de l’art par ses actions ancrées dans la société civile.


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