Political / Minimal à Berlin

par Lucile Bouvard

Political / Minimal
par Lucile Bouvard

Political / Minimal. Un titre clair et tranché comme on en voit rarement. Pas besoin de détour, nous avons devant les yeux l’exact sysnopsis de l’exposition présentée jusqu’à fin janvier au Kunst Werke Institute de Berlin. Jouant sur ce qui pourrait s’annoncer comme un oxymore – la mise en relation de l’autonomie de l’œuvre, poussée à son extrême par l’art minimal, avec un regard sur la vie et la « polis » – le projet réunit un certain nombre de pièces récentes dont les allures minimales portent en réalité une réflexion sociale ou politique.

vue générale de l'exposition

vue générale de l'exposition Kunst Werke Berlin, Monica Bonvicini, Terence Koh, photo Uwe Walter, 2008

Après un tel énoncé, c’est avec peu d’étonnement, mais néanmoins tout autant de plaisir que l’on découvre en ouverture le Condensation Cube d’Hans Haacke (1). Figure tutélaire et instigateur du genre, il donne le ton à l’univers géométrique de l’exposition, en rappelant à notre mémoire la place majeure occupée par le cube et le carré dans les travaux « proto-conceptuels » et, par la suite, dans les œuvres conceptuelles elles-mêmes (2). Répété d’emblée par l’accolement de 3,000 Holes of 180x50x50 cm each de Santiago Sierra (3) à la pièce de Haacke, il revient plus loin avec White de Monica Bonvicini, une vitrine éclairée de l’intérieur et brisée sur ses quatre faces, ou encore Passeport de Felix Gonzalez-Torres, un simple stack de feuilles vierges posé au sol.
Même s’il ne constitue pas l’unique forme de l’exposition – la géométrie commune aux pièces s’incarne également dans le cylindre, le cercle, le cône ou le triangle – , le cube, tel un motif, occupe un rôle de structuration prédominant, ne manquant pas au passage de faire hommage aux questionnements sur la sculpture et son échelle initiés par les minimaux. Pour preuve : le choix très précis de Cube (9x9x9) de Mona Hatoum, une sculpture à hauteur d’homme structurée par une trame de fils barbelés. L’œuvre, dont la taille très proche du Dé de Tony Smith – ni monument, ni objet (4) – exacerbe la violence et la tension latentes, projette le spectateur à la lisière d’un danger imminent, mais toujours contenu.
À l’image de son titre duel, l’exposition donne très vite lieu à une déambulation à deux lectures. Alors que la première se fraye un chemin à travers le rythme sobre de l’accrochage en s’attachant plus aux formes et aux surfaces, la deuxième fait usage du texte pour tenter de percer à jour le récit contenu par les œuvres. À cet égard, deux pièces dans l’exposition –  Entierro / Burial de Teresa Margolles (5) et Untitled multiples de Seth Price (6) – accentuent le retournement du « What you see is what you see » de Frank Stella observé ici, en ajoutant à la promesse de leurs références politiques celle d’un contenu présent, mais hors de portée. Par ce renforçement de l’accord tacite  établi avec le spectateur, Margolles et Price poussent la « double lecture » à son extrême et assoient la valeur auratique de la pièce sur le non visible et la latence. Au-delà de la forme.
Si l’exposition concentre en premier son regard sur la manière dont les pièces mettent en jeu l’emprunt de leur facture et leur procès intrinsèque, elle offre également, de manière détournée, une occasion de reconsidérer l’héritage du Minimalisme, ainsi que le mouvement lui-même. À tout un chacun, alors, de se remémorer et d’interroger sa doxa, son rôle clé au sein de la néo avant-garde des années 60-70, mais aussi ses paradoxes et ses zones d’ombres. Comme un chemin de traverse qui, après tous les travaux critiques qui ont tenté de le circonscrire, induit le rappel par l’expérience.

Theresa Margolles, enterial

Theresa Margolles, Begräbnis, Burial, Entierro, 1999Fetus included into a block of cement.

1:  Conçus entre 1963-1965, parmi ses toutes premières œuvres, les Condensation Cube de Haacke renferment une fine quantité d’eau qui, selon les variations de température de l’espace d’espace d’exposition, se transforme en buée pour, au contact des parois de plexiglas, redevenir eau. Traduisant au sein de leur microcosme le contexte et les données physiques de l’exposition, ses pièces sont emblématiques de l’intérêt initial de l’artiste pour les interactions entre systèmes physiques et biologiques.
2:  Selon l’analyse émise par Benjamin Buchlol dans De l’esthétique de l’administration à la critique institutionnelle (Aspects de l’art conceptuel, 1962-1969), in L’art conceptuel, une perspective, Musée d’art moderne de la ville de Paris, éditions de 1989, le carré – et sa « rotation stéréométrique, le cube » – constituent la plus exacte formalisation de la tautologie linguistique. « Not surprisingly, the two forms proliferate in the painterly and sculptural production of the early to mid-1960s, when rigorous self-reflexivity examines the traditional boundaries of modernist sculptural objects to the same extent that the phenomenological reflection of viewing space re-incorporates architectural parameters into the conception of painting and sculpture. »
3:  La pièce présente le labeur de travailleurs sénégalais embauchés par l’artiste à un salaire minimum pour creuser 3000 trous de bases carrées dans un terrain à la frontière du Maroc et de l’Espagne.

4:  Dans la deuxième partie de son livre Note on the sculpture, Robert Morris revient sur un entretien dans lequel il interroge Tony Smith au sujet de Die (1962), une sculpture d’acier de 180m de haut :« Q : Pourquoi n’avez-vous pas fait un cube plus grand afin qu’il domine le spectateur ? – R : Je ne faisais pas un monument. – Q : Alors pourquoi ne pas l’avoir fait plus petit de sorte que le spectateur puisse se pencher au-dessus ? – R : Je ne faisais pas un objet. »5: Entierro / Burial est une pièce emblématique de la pratique de Teresa Margolles par la manière dont elle traduit les préoccupations de l’artiste sur la place de la mort au sein de la  société.  Monument insoupçonné, elle ne semble être  au premier coup d’œil qu’un simple bloc de béton, mais renferme en réalité la dépouille d’un nourrisson mort-né.
6:  Untitled multiples compile sous la forme d’une tour de CD un ensemble de vidéos jihadistes, trouvées par Seth Price sur Internet. En libre accès sur la toile, les vidéos demeurent, dans l’espace d’exposition, inaccessibles aux visiteurs. À la fois pointées du doigt et soustraites au regard.


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