L'antre de la peinture

par Lucile Bouvard

Cave painting
L’antre de la peinture

À Berlin, comme dans d’autres capitales, les galeries sont réparties par petits groupes de sorte que le parcours des amateurs de visites en enfilade se résume généralement à quelques points névralgiques déjà bien rodés. Pourtant il arrive que, au hasard d’un chemin de traverse encore non éclairé par quelque guide que ce soit, on tombe sur  des projets inattendus. C’est le cas de « Cave Painting » conçue par Bob Nickas pour la toute jeune galerie PSM.

vue de l'exposition

vue de l'exposition

On connaissait l’intérêt du critique pour l’histoire récente de la peinture et pour les liens inextricables qu’elle noue avec les formes visibles de la sous-culture. Et l’annonce de ce projet qui résulte en partie des nombreuses visites d’ateliers effectuées dans le cadre de son prochain livre, painting abstraction, pouvait risquer d’être décevante : « Nickas, encore une expo de peinture, encore la même team New Yorkaise ?! ». Détrompons-nous, car la force du projet réside précisément dans sa capacité à user d’un répertoire familier, à le mettre en travail et en extraire des associations imprévues.

Sans s’épuiser dans une recherche d’exhaustivité, « Cave Painting » tente, via un large éventail, d’établir un état des lieux de la peinture. Elle entremêle tendances et références, juxtaposant figuration et monochrome, ou confrontant la vivacité du geste à la rigueur de postures formalistes. Au fil des cimaises, les positions picturales ne cessent de convoquer, exploiter et déplacer les traditions, particulièrement allemandes et américaines. Chez Jens Wolf, Bernd Ribbeck et David Malek, les tracés rectilignes vont puiser dans un héritage constructiviste encore prégnant et se teintent, chez Anja Schwörer, d’accents psychédéliques. Tandis que Josh Smith persiste et signe avec une nouvelle série de toiles éponymes qui, avec une certaine ironie, combinent une touche expressionniste tapageuse à des procédés de reproduction évoquant le Pop Art. Si toutes les toiles de cette caverne ne sont pas à proprement parler abstraites, les bribes de figurations y sont consignées en bordures de tableaux ou altérées, comme dans la pratique conceptuelle de Michael Krebber.
À travers ce tour d’horizon, l’exposition témoigne avec justesse des débats dont la peinture a fait l’objet depuis les années 60. Comment sa mort annoncée par les néo avant-gardes a finalement été rendue obsolète. Comment ses différents héritages et doctrines se sont vus intégrés, puis dépassés par des questionnements touchant à un concept d’image élargi. Avec une maîtrise apparente « Cave Painting » démontre qu’il n’y a pas de « fin de partie » qui  tienne, tant les pistes ouvertes restent nombreuses.
L’autre réussite de l’accrochage de Nickas est de créer des rapprochements plus anecdotiques ; de multiplier les relations en utilisant les correspondances formelles ou les répétitions de motifs pour nouer des sortes de micro-narrations. Dans une tension entre contraste et adéquation, une grotte au rose criard de Jules de Balincourt vient jouer du coude avec un monochrome noir constellé de paillettes de Jutta Koether. Plus loin, un corail de Katharina Grosse s’offre pour décor une toile « coquillages et crustacés » signé John Armleder. Le choix de la pièce de Grosse n’est pas anodin. Elle illustre la propension de l’artiste à libérer le médium de son cadre habituel et répond aux pièces de Wade Guyton et Kelley Walker qui, jusque-là, ne s’échappaient de la cimaise que pour épouser discrètement l’architecture du lieu.

Mais le clou de l’exposition est assurément la pièce He went to live in a cave, until he got back on his feet de John Miller et Richard Hoeck. Il s’agit d’un mannequin enfant, blouson en jean sur le dos et bracelets de force aux poignets, dont la contemporanéité affichée est troublée sur son torse par un tatouage intriguant. Une fresque rupestre tirée de la grotte espagnole d’Altamira qui nous fait remonter aux origines de la peinture. Changée de place chaque jour, la sculpture habite le lieu à la fois comme un visiteur lambda et comme une figure ancestrale en contemplation de ses semblables…


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