Le Deuxième Sexe : une note visuelle

par Flora Katz

La Galerie, Noisy-le-Sec, du 24 Mai – 13 Juillet 2013

Sensible aux problématiques féministes, le critique d’art et curateur Tobi Maier, qui vit et travaille à São Paulo, s’est plongé en 2011 dans l’étude critique d’un ouvrage fondateur pour l’histoire des femmes et de cette pensée : Le deuxième sexe (1949) de Simone de Beauvoir. À partir de l’œuvre de trois artistes femmes [1], l’exposition « Le Deuxième Sexe – une note visuelle » développe trois manières de dire les femmes, leur singularité, leurs combats. Ilene Segalove, Marianne Wex et Anne-Mie van Kerckhoven ont toutes trois initié leur travail plastique au croisement des années soixante et soixante-dix, période de la seconde vague du féminisme qui voyait revendiquer une libération non plus seulement dans l’espace public mais aussi dans la sphère privée, reconnue comme le lieu privilégié de la domination masculine. Les travaux présentés ici, tout comme Le deuxième sexe, s’inscrivent dans ce tournant du public vers le privé ; l’exposition tisse alors le récit des luttes féministes avec l’expression de la singularité de l’espace intime féminin. Entrecroisements.

Simone de Beauvoir  —

« Et en vérité il suffit de se promener les yeux ouverts pour constater que l’humanité se partage en deux catégories d’individus dont les vêtements, le visage, le corps, les sourires, la démarche, les intérêts sont manifestement différents : peut-être ces différences sont-elles superficielles, peut-être sont-elles destinées à disparaître. Ce qui est certain c’est que pour l’instant elles existent avec une éclatante évidence. » [2]

Présenté sobrement sur des panneaux de bois traversant la première salle de La Galerie, l’atlas photographique de Marianne Wex Let’s Take Back Our Space: “Female” and “Male” Body Language as a Result of Patriarchal Structures (1979), déploie nombre de photographies prises dans les années soixante-dix, comparant les postures adoptées quotidiennement par les hommes et les femmes dans l’espace public. Bien que superficielle, la césure est profonde : l’image de la femme apparaît indéfectiblement normée, régulée, et conditionnée.

Simone de Beauvoir  —

« Bref, on l’engage à devenir, comme ses aînées, une servante et une idole. » [3]

La transmission de ce conditionnement entre une mère et sa fille se dévoile dans toute sa complexité, entre geste d’amour et regard critique, lorsque l’on découvre les deux vidéos de l’artiste américaine Ilène Segalove Whatever Happened to MY Future ? (2012) et The Mom Tapes (1974-1976). Mais est-il possible de démanteler tout ça ? (To Dismantle All This?, 2005-2008) demande Anne-Mie van Kerckhoven. Dans un univers coloré punk et psychédélique, l’artiste belge s’attache à déconstruire les conceptions archaïques de la femme à travers un vocabulaire contestataire et transgressif.

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Ilene Segalove, Secret Museum of Mankind, 2011. Photographie noir et blanc 99,06 x 73,7 cm chaque - Courtesy de l'artiste et Jancar Gallery, Los Angeles

Ilene Segalove, Secret Museum of Mankind, 2011. Photographie noir et blanc 99,06 x 73,7 cm chaque – Courtesy de l’artiste et Jancar Gallery, Los Angeles

Si les allées et venues entre le livre de Simone de Beauvoir et les contributions artistiques sont à la fois belles et évidentes, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de saisir d’emblée l’actualité du projet dont le point de départ – l’ouvrage de Beauvoir – semble aujourd’hui daté. Mais c’est peut-être en termes d’outils critiques et non de faits revendiqués qu’il faut aujourd’hui envisager le féminisme de la deuxième vague : les œuvres de l’exposition, tout comme Le deuxième sexe, convoquent un appareillage critique que tout un chacun pourrait utiliser pour se réapproprier son identité dans l’espace public et privé et affirmer sa légitimité dans un univers normatif et globalisant. D’ailleurs, dès 1945, Simone de Beauvoir posait le combat du féminisme aux côtés de celui des minorités :

« Assurément la femme est comme l’homme un être humain : mais une telle affirmation est abstraite ; le fait est que tout être humain concret est toujours singulièrement situé. Refuser les notions d’éternel féminin, d’âme noire, de caractère juif, ce n’est pas nier qu’il y a ait aujourd’hui des Juifs, des Noirs, des femmes : cette négation ne représente pas pour les intéressés une libération, mais une fuite inauthentique. » [4]

Avec « Le Deuxième Sexe – une note visuelle », Tobi Maier restitue avec beaucoup de subtilité la portée de l’œuvre de Simone de Beauvoir et, avec elle, celle de toutes celles et de tous ceux qui combattent pour la reconnaissance de tout être dans sa singularité propre, dans l’intimité du foyer comme dans l’espace public.

Commissariat : Tobi Maier / Avec : Anne-Mie van Kerckhoven, Ilene Segalove, Marianne Wex et Travelling Féministe avec le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir.


  1. On notera aussi la contribution documentaire de Travelling Feministe, qui, avec le Centre Simone de Beauvoir, présente une série de vidéos documentant différents aspects des combats féministes des années soixante-dix et du travail de Simone de Beauvoir.
  2. Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard (1949), 2013, tome 1, p. 15.
  3. Simone de Beauvoir, op.cit., tome 2, p. 31.
  4. Simone de Beauvoir, op.cit., tome 1, p. 15.

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