Vincent Lamouroux « Néguentropie »
L’exposition « Néguentropie » à l’abbaye de Maubuisson marque en apparence un tournant dans le parcours de Vincent Lamouroux : jusqu’ici, le patrimoine religieux lui avait plutôt inspiré des structures ascensionnelles issues du roller coaster américain.
En 2007, dans la Chapelle Jeanne d’Arc à Thouars, son Héliscope à gravir – un axe hélicoïdal incliné de dix degrés par rapport à la verticale – obligeait le grimpeur à resituer constamment son centre de gravité. En 2011, à l’Abbaye de Fontevraud, un arsenal de sinusoïdales en bois dit Belvedère(s) reconduisait, sur le mode du gigantisme, cette expérience de l’instabilité dans la marche. À Maubuisson, rien ne vient plus perturber aucun système géométrique. Pour activer un processus déambulatoire, Vincent Lamouroux s’est référé à l’autre grande occurrence du Land Art : l’informel.
Parmi les trois salles de l’abbaye investies par l’installation, deux d’entre elles ont été remplies de sable, de façon à enterrer une partie des colonnes et à recouvrir par intermittence le dallage à glaçure du sol.
La contrainte, qui était l’apanage des œuvres pseudo-modulaires de Lamouroux, a donc cédé à l’inertie. Comme chez Carl Andre, il reste encore à la « sculpture » le pouvoir de favoriser une appréhension haptique de l’espace. Dans ce nowhere sans coordonnées, le percept est rendu à ses fondamentaux kinesthésiques. Le spectateur, encouragé par des souvenirs régressifs, peut se déplacer à sa guise. Monter, se coucher, se lever, errer.
Sans doute, ces dénivellements sont à inscrire dans la filiation de Sol (2002) qui, déjà, trompait le spectateur avec l’idée d’un plancher mou, non loin de l’imaginaire science-fictionnel des sables mouvants. En art contemporain, de tels fantasmes ont été approchés de près, comme en 2009, à la Biennale de Venise, où le Palazzo Papadopoli du pavillon ukrainien avait été envahi par plusieurs tonnes de sable, sur une idée de Illya Chichkan et de Mihara Yasuhiro. Construit au bord du Grand Canal, le palais ranimait le souvenir de l’Atlantide, la cité engloutie. De même, Earthwork de Walter De Maria, présenté à la Heiner Friedrich Galerie en 1968, aurait pu s’imposer comme l’un des antécédents de « Néguentropie » si l’artiste avait levé l’interdit de pouvoir arpenter la terre.
En fait, l’installation de Lamouroux renoue davantage avec l’univers de Robert Smithson. La salle du parloir accueille une monumentale sculpture en carton et plâtre à l’image d’une coquille d’escargot fossilisée et effritée à son extrémité. Un tel symbole achève de projeter le visiteur dans des temps immémoriaux, effet du paysage de ruines « virtuelles » de l’exposition. Que serait devenue l’abbaye de Maubuisson si la pierre n’avait pas été traitée ? Rien que du sable. Et pour cause, celui-là provient des carrières de Saint-Pierre-lès-Nemours, à proximité de Fontainebleau.
Pourtant, en vertu du registre smithsonien, Lamouroux réussit à exprimer l’exact contraire du sculpteur américain. Là où Smithson se réclamait de l’« entropie », loi de la désorganisation progressive, Lamouroux, au contraire, illustre le principe de « néguentropie ».
Le terme a été forgé par Léon Brillouin en 1959 dans Science et théorie de l’information. Il est la contraction de negative-entropy, thèse qui défend la présence de l’ordre à l’intérieur des êtres vivants. Dès lors, il faut voir dans la coquille non plus le fossile, mais un schème de perfection rivalisant avec le répertoire graphique cistercien. Accepter que l’informe et le construit relèvent de la même chaîne organique, sachant que le premier est le stade originel (ou le destin) de l’autre. La répartition du sable a d’ailleurs été modélisée pour ressembler aux murs érodés de l’abbaye. Mais comme chaque passage supprime ces aspérités et donne au sable un aspect lisse et vierge, c’est la trace des pas qui disparaît, illusion anti-entropique par excellence. Smithson n’y avait pas pensé lorsqu’il écrivait, en 1967, dans « Une visite aux monuments de Passaic » : « Imaginez le bac à sable divisé en deux, avec du sable noir d’un côté et du sable blanc de l’autre. Prenons un enfant et faisons-le courir […] ensuite, faisons-le courir dans le sens inverse, le résultat ne sera cependant pas une restauration de la division d’origine mais un degré de gris plus intense et un accroissement de l’entropie. »
Bien que « Néguentropie » n’atteigne pas le grandiose des installations précédentes, c’est avec ce genre de subtilités que Lamouroux parvient à enrichir sa réflexion sur la phénoménologie et la réversibilité.
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- Du même auteur : Bojan Sarcevic, L'ellipse d'ellipse, Les dérives de l’imaginaire , Tamar Guimarães, L'Au-delà (des noms et des choses), Un réel de l'entre-deux,
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