Victor Burgin au Jeu de Paume et au CPIF
Victor Burgin :
Ça – Jeu de Paume, commissariat : Pia Viewing – jusqu’au 28 janvier
Place(s) – Centre photographique d’Ile-de-France (Cpif), jusqu’au 21 janvier
L’artiste et théoricien britannique Victor Burgin fait l’objet d’une double actualité cet hiver. Au Jeu de Paume à Paris tout d’abord où une exposition monographique d’envergure, la première de cette importance en France, retrace son activité artistique sur plus de cinquante ans. Au Centre photographique d’Ile-de-France (Cpif) à Pontault-Combault ensuite, où une autre se focalise sur l’évolution décisive de ses recherches entre 1976 et 1984.
Né à Sheffield, au Royaume-Uni, en 1941, vivant et travaillant à Paris, Victor Burgin est considéré depuis la fin des années soixante comme un artiste influent et un théoricien renommé de l’image fixe et animée. Son travail s’attache à explorer les relations entre le langage et l’image, essentiellement vis-à-vis d’une réflexion sur la représentation et les codes sociaux qui la régissent. Étudiant en peinture au Royal College of Art de Londres de 1962 à 1965, il poursuit ses études à la Yale University où enseignent notamment Robert Morris et Donald Judd, et dont il sort diplômé en 1967. C’est au cours de cette période qu’il se fait connaitre à la faveur de ses contributions aux premières expositions d’art conceptuel – à l’image de « Quand les attitudes deviennent forme » organisée en 1969 à la Kunsthalle de Berne – dont il est l’un des initiateurs. Il produit des notices d’instruction destinées aux visiteurs afin qu’ils prennent part à la création de l’œuvre. À la fin de la décennie suivante, il s’intéresse à la photographie qu’il associe à l’écriture, créant des œuvres phototextuelles en juxtaposant ou superposant le texte à l’image pour composer des récits à plusieurs strates. Au début des années quatre-vingt-dix, il travaille l’image en mouvement, privilégiant la forme de la boucle pour des vidéos de courte durée. Le parcours s’achève sur les œuvres vidéo réalisées par modélisation numérique 3D qu’il entreprend entre 2000 et 2023.
Le titre de l’exposition du Jeu de Paume « Ça » renvoie à un passage de la chambre claire (1980) de Roland Barthes dans lequel l’auteur traite de la capacité des images photographiques à désigner le réel. « Il y a un passage dans La Chambre Claire où Roland Barthes évoque la scène d’un enfant qui pointe un doigt et babille ‘Ta, Da, Ça !’ L’adulte sait que l’enfant veut dire ‘Ça !’ mais ne peut pas savoir ce que ‘ça’ est pour l’enfant. […] Je peux indiquer ‘cela’, mais comment le représenter ? » explique Victor Burgin. « Ce qui m’intéresse au plus haut point, c’est la manière dont notre expérience de la ‘vie réelle’, du ‘monde réel’, est conditionnée par nos souvenirs et nos fantasmes – c’est à cela que toute mon œuvre tente, d’une manière ou d’une autre, de se confronter ».
Pour le philosophe Henri Bergson « la perception n’est jamais un simple contact de l’esprit avec l’objet présent ; elle est complètement imprégnée d’images-mémoires qui le complètent et l’interprètent. » Tout au long de l’œuvre de Burgin, il y a une attention constante à cet espace « entre » le spectateur et l’objet – au monde « réel » vu par le prisme du récit, de la mémoire et la fantaisie. Il fait évoluer sa pratique de la vidéo, tronquant des images réalisées grâce à des optiques pour des images générées par des logiciels de modélisation 3D, comme en témoigne « Adaptation », œuvre conçue spécifiquement pour l’exposition à partir de cette technique.
En parallèle de la rétrospective au Jeu de Paume, le Cpif accueille un ensemble de pièces emblématiques de l’artiste composant, sous le titre de « Place(s) », une exposition centrée sur la période allant de 1976 à 1984, années au cours desquelles ses recherches évoluent de manière décisive. À partir de 1973, Victor Burgin développe une pratique de réappropriation d’images publicitaires en réaction à la profusion de photographies. Il réutilise des images commerciales auxquelles il associe des textes empruntant aux codes de la publicité pour mieux révéler les contradictions de la société capitaliste, cherchant ainsi à éveiller le regard critique et la conscience de classe du visiteur. À partir de 1976, Burgin choisit de réaliser ses propres images en puisant dans le répertoire stylistique de la Street photography. S’il conserve la combinaison de textes et d’images, celle-ci s’appuie désormais sur un jeu d’associations faisant appel à l’inconscient. À la lecture de Roland Barthes sur laquelle se construit sa réflexion, il agglomère les apports de la psychanalyse, souhaitant désormais dévoiler « l’inconscient des images », un déplacement des interrogations qui glissent de la représentation du fait politique aux politiques de représentation.
Une autre transformation va s’opérer au même moment : il va substituer aux inégalités de classe celles liées au genre. Il interroge alors le patriarcat, la construction de la subjectivité et la sexualité, soit autant de questions étroitement liées entre elles. En même temps, il accorde aux lieux une place centrale dans ses œuvres, traitant principalement du milieu urbain comme dispositif. Les œuvres donnent alors à appréhender un espace à la fois physique et psychique.
« …Mon travail fait appel à une ‘logique du rêve’ plutôt qu’au sens commun. Il n’est pas destiné à être consommé… il doit être produit dans le processus actif de regarder, lire, comparer, interpréter » affirme Victor Burgin, tout à la fois écrivain, photographe, artiste, théoricien et enseignant. En confrontant les différentes périodes de son travail, l’exposition du Jeu de Paume fait ressortir l’essence de ses préoccupations artistiques et l’évolution de son approche. Sa démarche, profondément liée à l’analyse critique des politiques de représentation et de fabrique d’idéologie, explore le développement multiforme de la conception d’image.
1 Échange avec Alexander Streitberger, Place, 2022.
2 Victor Burgin, Between, London, ICA, 1986 rééd. London, Mack, 2020, p. 156
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Head image : Victor Burgin, Adaptation, 2023 (détail de l’œuvre en cours), Vidéo en boucle
- Publié dans le numéro : 107
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- Du même auteur : 10ème Biennale internationale d'art contemporain de Melle, Jordi Colomer au Frac Corse, Gianni Pettena au Crac Occitanie, Rafaela Lopez au Forum Meyrin, Banks Violette au BPS 22, Charleroi ,
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