r e v i e w s

to « The Fire Next Time » et Before They Were None, Danielle Brathwaite-Shirley à la Villa Arson

par Vanessa Morisset

11 février – 7 mai 2023

De mémoire de critique d’art souvent venue à la Villa Arson, rarement une exposition y aura été si explosive, dans le sens d’une explosion non pas de joie, mais dans la joie, réussissant à tenir ensemble une position théorique forte avec une invitation chaleureuse à venir discuter en regardant des œuvres, trainer par là, y compris danser (sans aucun prérequis ni exigence de grand style, je reviendrai sur ce point). Ceci a été rendu possible grâce à un commissariat complètement réinventé par Mawena Yehouessi, doctorante en recherche-création à la Villa, qui mène donc un travail sur les lieux et au long cours, en compagnie des étudiant·es, mais aussi d’autres personnes avec qui elle travaille depuis plus longtemps encore, dans le cas présent Rosanna Puyol. Co-commissaire, elle est la créatrice des éditions Brook dont la principale mission est la traduction, souvent collective, d’écrits — poésie, essais ou textes hybrides —engagés dans les luttes féministes et/ou antiracistes . L’une des dernières parutions, la traduction française de l’ouvrage de Stefano Harney et Fred Moten, Les sous-communs, planification fugitive et étude noire (publié en anglais en 2013), un livre qui nous apprend «  à écouter le bruit que nous faisons et à refuser ce qu’on nous propose pour réécrire ce bruit “en musique” », a servi de base de réflexion pour l’organisation de to « The Fire Next Time »…  ce que résume discrètement, mais assurément le « to » de ce titre choisi pour l’exposition. Au milieu des salles, un texte inscrit au mur explicite le choix de faire précéder « The Fire Next Time » emprunté à James Baldwin, de cette préposition qui exprime le mouvement et l’action collective.  « Et ça devient pas un verbe aussi? To fire-next-timer » peut-on lire dans ce texte, laissant entendre que l’exposition a quelque chose d’initiatique… Alors, oui, let’s fire-next-timons. Au début du parcours, sont par exemple accrochés des dessins d’Aminata Labor, artiste et chercheuse donc le travail relève à la fois d’une démarche esthétique et militante. Projets d’affiches, souvenirs de rue (ses titres mentionnent généralement des dates, mois et années, qui renvoient à des manifestations), ses dessins incarnent ici le rôle possiblement joué par les artistes dans les luttes. Non loin de là, quelques toiles de Ibrahim Meïté Sikely, ancien étudiant de la Villa diplômé en 2022, évoquent aussi l’appartenance à deux mondes. Dans  son univers fusionnent les références à l’histoire de l’art et son vécu personnel en banlieue parisienne. Apportant une énergie débordante, la présence de ses toiles souligne la continuité souhaitée par les commissaires entre l’école d’art comme espace de production et la galerie comme espace d’exposition.  C’est ce que raconte également la projection des cinq épisodes de la série La Cité des arts de Mona Varichon. Réalisée en complicité avec le danseur Nicolas Faubert qu’elle a rencontré lors de leur résidence respective à la Cité internationale des arts, la série montre comment, dans les lieux de création, surviennent à l’improviste, au cours d’activités quotidiennes, des instants de grâce. En écho à cette projection, Mona Varichon et Nicolas Faubert ont d’ailleurs été convié·es à organiser une après-midi combinant danse et écriture dans un espace appelé la « Studyroom » qui assure très concrètement la continuité entre l’école et la galerie. Situé au beau milieu de l’exposition, cet espace est avant tout un lieu convivial, à la disposition des étudiant·es, qui peuvent aller et venir dans l’exposition pour s’y rendre, s’y rencontrer, y faire une sieste et y organiser des événements (ou simplement des fêtes). Dans ce sens, l’après-midi danse-écriture a parfaitement accompli sa mission, rassemblant danseur·euses expert·es, commissaires d’exposition, étudiant·es, ami·es et totales novices qui ont fait ce qu’elles ont pu avec enthousiasme. L’expérience a eu le grand mérite de redistribuer les rôles et les rapports de compétence habituels, de faire oublier les différences générationnelles, et par conséquent de créer des complicités au-delà de ce que procure généralement une visite d’exposition. Ainsi revigoré·es (fire-next-timisé·es), la découverte de la suite ne peut que faire envie. 

Kyo Kim, Digital Romanticism, 2023, Vidéo numérique, 11:00 min.
Crécelle, 2023, Bois, 100 cm x 125 cm x 35 cm

Parmi les œuvres foisonnantes que l’on peut encore voir,  installations, projections, éditions, se trouve le fascinant film de Josèfa Ntjam, Dislocation qui, grâce à une écriture visuelle et poétique très fine, instaure une méthode de recherche pour explorer un passé oublié par l’Histoire. Enfin, dans une perspective assez proche, travaillant de manière critique l’héritage culturel européen, l’exposition Before They Were None de Danielle Brathwaite-Shirley constitue comme une extension de to « The Fire Next Time ». Avec pour point de départ le roman policier Les Dix petits nègres d’Agatha Christie, l’artiste anglaise a réalisé une vaste installation qui traduit en dix vidéos des aspects du roman dans un langage et une esthétique de jeux vidéos parfois trash. Détail remarquable, les joysticks des vidéos jouables transpercent (avec humour) des livres (en lien avec le thème) de la sorte transformés en de confortables repose-poignets prêts à accueillir les joueur·euses. 

Aminata Labor. Ensemble de 5 dessins sous verre. crayons sur papier, 8×13 cm
La baignade à 14°C, crayon sur papier, 8×13 cm
Furie tauropapillon, aquarelle sur papier, 8×13 cm
Bulls out at Night, Photocopie, 21×29,7cm

______________________________________________________________________________
1 http://brook.pm/editions.html
2 Comme le résume Jack Halberstam dans sa préface à l’ouvrage, « L’au-delà en délire », p. 9. 
3 À cet égard, Aminata Labor est l’autrice d’un mémoire publié aux Ateliers téméraire en 2022 intitulé Expériences manifestantes. Récits de femmes du cortège de tête

Head image : Josèfa Ntjam, Dislocation, 2022, vidéo, 18:00 min. Réalisée en collaboration avec Sean Hart et Nicolas Pirus, coproduction Aquatic Invasion Production et Palais de Tokyo, Paris. And it’s not tragic, 2022, Installation de 3 vidéos, Hydrozoa Collectiva, 2022-2023, Céramique engobée, corde, résine, métal
Réalisée avec l’aide de Junghyun Kim ,Vítor Carvalho Rezende, Cynthia Tonnerre et Pierre Touré.