Mondes Nouveaux : Lucas Monjo, David & Jonathan
Court métrage inédit, en cours de réalisation par Lucas Monjo pour Mondes Nouveaux, David & Jonathan nous entraîne dans une histoire d’amour gay sur un fond d’invasion extraterrestre. Le film commence par l’arrivée sur terre d’un météore alien, d’où s’échappent des créatures mi-limaces, mi-mille pattes, irisées et gluantes, qui attaquent les hommes en leur sautant au visage. Au cœur de cette grande histoire d’épouvante, bat une histoire d’amour : l’intrigue suit deux personnages, David et Jonathan. Leurs contrariétés amoureuses offrent au film sa romance et une profondeur intime pour nous rendre les personnages familiers. Jonathan retourne dans son village natal des Hautes-Alpes pour l’enterrement de sa grand-mère et profite de ce retour pour contacter son ancien amant David. David est resté dans ce village, où les deux hommes ont grandi, y travaille comme apprenti boulanger. Populaire auprès des habitants, il cache pourtant son homosexualité derrière une virilité exacerbée et obsesionnelle. Jonathan est un transfuge, en décalage avec son village natal, qui affiche une certaine liberté dans ses références – entre influenceurs et Ru Paul’s Drag Race – mais également dans son look queer, son maquillage et ses piercings. Sous cette façade exubérante et extravertie se cache en réalité un jeune homme peu sûr de lui, et qui n’a pas fait son coming out auprès de ses proches et parents du village. David & Jonathan forment une paire étonnante, dont les prénoms font immédiatement penser aux icônes musicales des années 1980, mais sont en réalité ici choisis par Lucas Monjo en référence aux personnages bibliques éponymes, dont la légende archaïque reste évasive sur la nature potentiellement homosexuelle de leur relation.
Anciens amants, leurs retrouvailles se concluent pourtant par une dispute, qui charrie incompréhension, frustration et condense les difficultés de communication émotionnelle. Le travail sur les dialogues se veut précis, capturant l’immédiateté de la langue et utilisant un registre courant, voire familier de discours, volontairement cru et direct. Lucas Monjo souhaite ainsi confronter le public à ses propres défaillances communicationnelles et dresse le portrait de “l’incapacité d’une génération à exprimer une émotion intime sans en faire une blague, du sarcasme ou de la vulgarité auto dépréciative.”
Le chaos de l’histoire d’amour entre David et Jonathan résonne étrangement avec celui que traverse simultanément le monde attaqué par les aliens, et toute l’ambition du film tient à cette imbrication des récits, des niveaux de lecture. Les aliens deviennent alors l’allégorie des démons intérieurs qui agitent Jonathan, ses difficultés à faire face à ses complexes et incertitudes, qui le dévorent de l’intérieur. Invention potentielle de Jonathan ou au contraire échappatoire, cette invasion cherche à donner une épaisseur métaphorique à sa détresse amoureuse.
Ce dyptique narratif repose également sur enchevêtrements des esthétiques et des genres cinématographiques. Lucas Monjo s’approprie les codes du body-horror, avec ses transformations violentes des corps humains, les mélange avec ceux des films d’invasions extraterrestres et leur arsenal techno-magique, tout en brouillant les pistes par des emprunts aux sagas hollywoodiennes des années 2000 pour préadolescents.
D’un côté la romance kitsch, avec ses paillettes et strass, ses lumières vives et colorées, les costumes excentriques et flamboyants et de l’autre, la science-fiction, avec son suspens anxiogène, ses créatures et multiples effets spéciaux. D’un côté la pop-culture avec Wicca, la star américaine qui aide les aliens et cherche à se venger de son enfance volée par les producteurs (certains y verront une résonance avec Britney Spear) ; de l’autre l’horreur façon série B avec des zombies aux yeux exorbités.
Le réalisateur apporte au projet ses références cinématographiques personnelles – Gregg Araki, John Cameron Mitchell ou encore From Beyond de Stuart Gordon – dans le but de créer une esthétique dont la familiarité s’arrête aux effets de contraste et aux mélanges des genres. Le tout sera lié par sa capacité à jouer avec les codes du cinéma de divertissement, comme l’omniprésence d’une même musique pop pendant tout le film, les nombreux effets spéciaux et la narration dialectique.
Les éléments de décors permettront de renforcer l’aspect dichotomique du film, avec des effets spéciaux volontairement spectaculaires juxtaposés à des techniques cinématographiques plus expérimentales voire artisanales : les Matte painting utilisés pour la piscine de Wicca s’opposent aux grands angles naturels des montages. La voiture dans laquelle David & Jonathan se disputent rappelle les camionnettes blanches C15, un quasi oxymore à la caravane de type airstream, dont la décoration éclectique est constituée de symboles occultes et d’éléments technologiques, surmontée d’une grande antenne et qui sert de repère à un personnage énigmatique.
L’intention de Lucas Monjo est de flirter avec la parodie, dans sa réappropriation de codes cinématographiques mainstreams pour mieux les détourner et surprendre ainsi les attentes classiques et usuelles du public, plongeant ainsi dans l’intime et des questionnements existentiels et identitaires. La promesse du film touche du doigt de façon littérale ce que des Mondes Nouveaux pourraient nous laisser entrevoir, par son anticipation science-fictionnelle, mais ouvre surtout les yeux notre réalité, pétrie par la vulnérabilité civilisationnelle mais aussi sentimentale.
Head Image : Lucas Monjo, David & Jonathan
- Publié dans le numéro : 103
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- Du même auteur : Moffat Takadiwa, Stanislas Paruzel à 40mcube, EuroFabrique en Roumanie, June Crespo, Mathilde Rosier et Ana Vaz au CRAC Altkirch, Anne Laure Sacriste,
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