Mondes Nouveaux : Hoël Duret et Tanguy Malik Bordage, Anne
La Pointe du Van, la Pointe du Raz, la Pointe du Dourven ont prêté leur décor, leur identité et leurs problématiques à Hoël Duret et Tanguy Malik Bordage. Anne, leur projet pour Mondes Nouveaux, est une épopée hallucinée à travers le littoral breton, site naturel remarquable, mais également attraction touristique incontournable. C’est cet écartèlement du territoire, entre les impératifs de préservation environnementaux et les impératifs économiques et commerciaux, qui donne à l’itinérance d’Anne sa toile de fond et ses reliefs, emportant rapidement l’aventure vers le royaume de l’absurde. La volonté de valorisation d’un territoire par la création contemporaine de Mondes Nouveaux s’en trouve alors transformée, abandonnant toute vision romantique et fantasmée du territoire, pour s’en tenir à une réalité ambivalente, qui par le traitement de la fiction interroge précisément cette notion de valorisation.
Combinant une trame narrative au long court à des épisodes précis de mise en scène, la proposition à quatre mains de l’artiste et du metteur en scène, est un dialogue intime entre deux personnages principaux que sont donc la côte bretonne, dont les vicissitudes actuelles fournissent une matière théâtrale brute, et le personnage fictif d’Anne, dont le parcours fait écho à un phénomène social post-covid, sorte d’exode rural inversé. Anne, parisienne, quitte son emploi de serveuse dans une crêperie pour se lancer sur les traces de ses potentielles origines bretonnes. La quête identitaire permet son initiation au territoire, fait émerger les conditions propices à des rencontres humaines inopinées, car l’ouverture à autrui devient dans cette expédition la seule manière d’obtenir d’hypothétiques réponses.
Le récit, proche d’une enquête anthropologique vécue pour et par rapport à soi-même, déborde la simple narration, s’incarne et progresse par trois évènements dramaturgiques. Conçues comme des tableaux, les performances théâtrales co-écrites par Hoël Duret et Tanguy Malik Bordage, font à chaque fois état des moments de rencontres entre Anne et des individus autochtones du territoire chimérique parcouru.
La première performance, qui a pour décor la Pointe du Van, nous fait découvrir à travers ses yeux, les Coasters, sorte de horde marginale imaginaire qui s’attaque aux voitures des touristes. Pendant les cinq heures de la performance, Anne assiste à un de ces pillages. Au milieu d’un champ, une voiture est progressivement désossée et l’incongruité de la scène se situe dans la présence de cette voiture dans une zone normalement protégée et par ce manège hautement incivil. Jouée en plein air, et n’étant délibérément par accompagnée par un dispositif de médiation, la performance offre alors une expérience in media res déroutante aux passants et touristes du site, dont la présence continue et intense tout au long de l’année est une menace plus insidieuse que ce saccage automobile mais bien plus considérable.
Pour la seconde performance, l’auditorium de la Maison de la Pointe du Raz est plongée dans une semi-obscurité et inondée d’un épais brouillard. Anne évolue cette fois entre un groupe énigmatique, pseudo ingénieur et scientifique, qui doit faire face à un problème sanitaire. Leurs actions sont produites à un degré extrême de ralenti, suspendant ainsi le temps dans un entre-deux mystérieux, et fragmentant la compréhension de leur entreprise.
La dernière performance parachève cette perte de sens, cette fois du côté du burlesque et de l’ésotérique, puisque Anne débarque au milieu d’une tentative de performance qui tourne mal. Performance – d’une troupe d’artistes invités en résidence – dans la performance, la mise en abyme permet de reprendre et de détourner les codes et le vocabulaire des performances artistiques : costumes, accessoires, attitudes, dialogues. C’est l’envers du décors qui devient le nœud central de l’intrigue, au gré des couacs des répétitions, des dissensions entre les différents participants. Coupées et rejouées sans cesse, les scènes deviennent alors aussi absurdes et circulaires que l’attente de Godot.
Anne est tour à tour spectatrice, interlocutrice et passeuse : c’est par sa présence que se tisse une narration entre les différents tableaux, en utilisant par exemple des éléments de costume d’une performance à une autre. Elle est aussi conteuse-chanteuse, puisque chaque rencontre-évènement se conclut également par sa prise de parole chantée, un concert qui remplace l’antique coryphée, et qui intervient cette fois en conclusion de chacune de ses péripéties dans son épopée bretonne et dans son incursion dans ces mondes nouveaux, qui malgré leurs allures post-apocalyptiques ne sont pas si lointains de nos mondes actuels.
Head Image : ANNE (2022), extrait vidéo, image Félicie Rizo © Hoël Duret / ADAGP Paris, 2023, courtesy NEW GALERIE, Paris
- Publié dans le numéro : 103
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- Du même auteur : Moffat Takadiwa, Stanislas Paruzel à 40mcube, EuroFabrique en Roumanie, June Crespo, Mathilde Rosier et Ana Vaz au CRAC Altkirch, Anne Laure Sacriste,
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