r e v i e w s

Le travail à l’œuvre

par Vanessa Morisset

Ensemble de trois expositions des FRAC du Grand Est : L’Alternative, FRAC Champagne-Ardenne, Reims, 19.05 — 17.09 ; Ressources humaines, 49 Nord 6 Est FRAC Lorraine, Metz, 23.06 — 5.11 ; Michael Beutler, Pipeline Field, FRAC Alsace, Sélestat, 1.07 — 5.11.2017

Il ne fallait pas moins de trois expositions pour aborder une problématique sociale aussi cruciale que celle du travail, à travers l’éclairage que lui apporte l’art. Trois FRAC du grand Est se sont concertés pour s’atteler au travail tel qu’il est perçu, vécu et parfois réinventé par les artistes. Immédiatement relié à l’actualité, bien sûr, au calendrier politique et législatif en cours mais aussi, plus largement, aux analyses qui circulent sur le post-travail et le post-capitalisme[1], le projet de ces expositions s’est aussi élaboré à partir de l’expérience concrète des trois FRAC amenés à fonctionner sans direction pendant longtemps. Confrontées à cette situation, les équipes ont dû s’organiser de manière collégiale, ce qui a suscité des initiatives et des réflexions inédites dans un tel cadre institutionnel français. Certaines œuvres présentées, réalisées au sein de structures artistiques autogérées font d’ailleurs directement écho à cette expérience.

Les trois expositions traitent donc de ce thème commun, chacune l’abordant selon une perspective spécifique. À Reims, « L’alternative » déploie les différentes facettes de la notion de travail avec pour effet de relativiser la conception basée sur la division des tâches, qui elle-même se répercute sur la division en temps de labeur et temps de loisir. À cet égard, un ensemble de trois sérigraphies de documentation céline duval (extraite de l’œuvre 3 temps en 4 mouvements, 2009) reproduit d’anciennes photos d’anonymes au travail, chez eux et se divertissant. Avec leur esthétique vintage, ces images suggèrent le caractère désuet de ces trois huit entre travail, repos, loisir. A contrario, non loin de là, sont présentés des objets à base de recyclage réalisés par Jean-Marie Perdrix et un groupe d’artisans au Burkina Faso avec qui il collabore : œuvre sociale, collective et créative à la fois, elle ouvre sur une conception du travail plus ouverte sur le monde actuel. Globalement, l’exposition est conçue sur une opposition entre travail aliénant et travail libérateur, avec par exemple une vidéo du collectif danois Superflex qui simule, d’une manière jouissive, l’inondation d’un Mc Do (grâce à la construction d’une maquette à l’échelle 1:1), tandis qu’une autre vidéo, de l’artiste japonais Koki Tanaka, nous permet d’assister à la composition d’un morceau de piano par cinq musiciens improvisant tour à tour.

le travail à l’oeuvre / l’alternative – Frac Champagne-Ardenne

À Metz, l’accent est mis sur les conditions de travail et la manière dont elles sont vécues. Une œuvre surprenante mais d’autant plus pertinente, l’installation de Catherine Lescarbeau Le Département des plantes (2016) attire l’attention sur les plantes de bureaux, yuccas et autres espèces tropicales qui supportent la chaleur des intérieurs et sont censées rendre les espaces de travail plus vivables. Avec des photos et des plantes disséminées dans l’exposition, l’artiste révèle ce subterfuge par lequel chacun rend sa vie au travail plus douce (sous-entendu qu’elle ne l’est pas). Une autre œuvre s’attaque à une question encore plus fondamentale du quotidien professionnel. Dans sa vidéo The Trainee (2008), Pilvi Takala révèle à quel point la conception commune du travail est liée à des signes extérieurs convenus. En effet, dans cette œuvre, elle se fait passer au sein d’une entreprise pour une stagiaire qui passe ses journées assise à réfléchir. N’affichant aucune posture de la vie de bureau — derrière un ordinateur ou à la photocopieuse — elle fait douter ses collègues de la réalité de son travail. Pour beaucoup, réfléchir n’est pas travailler. Enfin, Double vie d’Olga Kisseleva (2007) touche à un problème qui concerne plus particulièrement la condition de vie des artistes. La vidéo dresse des portraits d’artistes qui témoignent d’un fait largement passé sous silence dans le milieu, le partage du temps entre boulots alimentaires et recherche artistique. Ainsi, au sein d’un parcours à la fois varié et subtilement construit par la commissaire invitée, Virginie Jourdain, ce volet de la triple exposition ouvre des perspectives très pertinentes pour penser le travail aujourd’hui.

Enfin, en complément de ces deux accrochages collectifs, le FRAC Alsace a choisi de présenter une seule œuvre — mais quelle œuvre ! —, l’installation monumentale Pipeline Field de Michael Beutler (2008, collection FRAC Midi-Pyrénées). Fabriqués par une équipe durant une semaine grâce à des machines artisanales conçues par l’artiste, des tubes et des tubes en Tetra Pak® crème, beige et gris, plus ou moins hauts, plus ou moins rigides, certains érigés d’autres restés à terre (ou écroulés), transforment l’espace d’art en un entrepôt d’une absurdité poétique. Car, finalement, cette installation démesurée résultant d’efforts intenses de la part de ceux qui en ont confectionné les éléments sans autre but que leur propre existence, insiste sur la relation entre le travail et son utilité, question déjà présente en filigrane dans les deux autres expositions. La production insensée de Michael Beutler rappelle une série de performances de Francis Alÿs évoquée sous forme de photographies dans « L’Alternative », notamment sa promenade avec un bloc de glace dans les rues de Mexico City pour le faire fondre, ou encore la pesante machine à vapeur digne de l’industrie du xixe siècle conçue par Jeremy Deller et Alan Kane pour recharger un téléphone portable présentée elle aussi au FRAC Champagne-Ardenne. Dans ces œuvres, la disproportion entre les moyens mis en œuvre et l’utilité du résultat obtenu fait rêver à une meilleure définition du travail où la poésie aurait une place à part entière.

[1]   Voir par exemple l’ouvrage de Nick Srnicek et Alex Williams Accélérer le futur. Post-travail et post-capitalisme, Saint-Etienne, Cité du design/it:éditions, 2017 pour la traduction française.

(Image en une : Superflex, Flooded McDonald’s, 2009. 
Vidéo, 21’. © Superflex.)