r e v i e w s

KorSonoR à Genève

par Guillaume Lasserre

KorSonoR – Festival-exposition des arts sonores et visuels
du 28 septembre au 22 octobre, divers lieux, Genève. Commissariat : Olivier Kaeser 

Les liens qui unissent la musique, la création sonore et les arts visuels depuis le début du XXème siècle sont innombrables. Ils suscitent, depuis les années 2000, l’intérêt des musées et des centres d’art qui consacrent régulièrement des expositions aux arts sonores et au rapport qu’entretiennent la musique et les arts visuels. À Genève, une nouvelle manifestation, imaginée par Olivier Kaeser et conçue par Arta Sperto – sa structure de curation et de production –, leur est dédiée. Intitulée KorSonoR, elle explore les résonnances entre arts sonores et visuels à l’aune de l’exposition, l’installation, l’in-situ, la vidéo, la performance-concert, … Sa forme hybride, entre l’exposition et le festival, adopte le modèle des deux premières éditions de Dance First Think Later (DFTL), biennale à la croisée de la danse, de la performance et des arts visuels, organisées en 2020 et 2022 par Arta Sperto. L’ancien co-directeur du Centre culturel suisse à Paris poursuit ainsi son exploration transdisciplinaire de la création artistique en rassemblant quinze artistes, duos ou entités, internationaux et de générations différentes, qui développent des pratiques transversales dans ces interstices aux contours flous, ces zones grises qui tentent de délimiter non sans mal la frontière entre les deux disciplines artistiques. 

Ban Lei, 153 returning birds, 2023, installation activée par le public, Le Commun. Photo Emmanuelle Bayart / Arta Sperto.

KorSonoR s’articule autour d’un lieu central, Le Commun, qui fait face au MAMCO et au Centre d’art contemporain de Genève, dans le quartier des Bains. Il accueille l’exposition dont certaines pièces sont activées en public. Celle-ci déborde sur la ville en présentant deux œuvres dans l’espace public, dont « The River Cycle III », installation sonore de Susan Philipsz, sur la passerelle située sous le pont du Mont-Blanc, dans laquelle elle chante a capella « Pyramid song » du groupe anglais Radiohead, qui évoque une noyade à la première personne. L’exposition investit également l’espace expérimental du Flux Laboratory, tout prêt du Commun, avec l’installation sonore immersive et participative « In Pulse » de l’artiste suisse Anne Rochat, qui implique des collaborations avec d’autres artistes. Un programme de performances et d’autres projets irrigue la ville, d’une institution culturelle à l’autre, de la Comédie de Genève pour laquelle Olga Kokcharova imagine le portrait sonore, au Musée d’art et d’histoire dont la cour intérieure restitue magnifiquement les claquements de fouets de « Fléau » d’Agnès Geoffray, du Grand-Théâtre où « Forecast (LX23) », la performance-concert d’Ari Benjamin Meyers, traverse l’histoire des prévisions et des phénomènes météorologiques, au laboratoire des arts vivants, les 6 toits, projetant sur grand écran une sélection de films en Super 8 de Roman Signer. Genève est aussi traversée par une fascinante promenade électrique imaginée par l’artiste allemande Christina Kubisch qui invite le public à écouter la ville de façon inédite. En rendant audible à l’aide d’un casque les phénomènes électromagnétiques qui nous entourent, elle propose une vision éminemment politique et contemporaine de la ville

Genève conserve l’une des rares œuvres pérennes dans l’espace public de l’artiste américain Max Neuhaus (1939-2009) dont le parcours est caractéristique de la distinction entre musique et arts sonores. D’abord musicien et compositeur, puis percussionniste expérimental, il se consacre, à partir de 1968, au travail du son dans le domaine des arts plastiques, et est considéré comme le père de l’installation sonore. À la Promenade du Pin, discret jardin arborisé de la ville, il invente en 2002 une pièce ne relevant ni tout à fait de la musique, ni de la forme visuelle, qui expérimente une nouvelle perception auditive de l’environnement. L’œuvre s’impose tout naturellement comme le socle de la manifestation, l’enracinant dans le contexte genevois. Le travail de Max Neuhaus est donné à voir sous forme de documents dans l’exposition.

Celle-ci accueille les « 153 retourning birds » de l’artiste chinois basé à Genève, Ban Lei. L’installation, à activer au gré des envies de l’artiste et des visiteurs, se compose de sculptures-instruments suspendues en forme d’oiseaux stylisés, déclinées en trois tailles différentes comptant chacune cinquante et un exemplaires. Trois tailles qui représentent trois générations – grands-parents, parents et enfants – soit pour l’artiste une allégorie du temps infini. La lumière du jour, provenant de la verrière zénithale au-dessus de laquelle elle est fixée, magnifie l’installation en proposant une vision à chaque heure renouvelée. À côté, Rudy Decelière, dont le travail tourne autour de phénomènes sonores imperceptibles, donne à voir et à entendre quelque chose qui s’apparenterait au bruit d’une goutte d’eau tombant sur des feuilles mortes, rassemblées sur un grand tondo blanc posé au sol. « Shadow Water » explore de façon sensible la micro-impulsion individuelle, invitant à expérimenter l’écoute d’un presque silence. Dans la salle de projection aménagée pour l’occasion, Kim Gordon déplace ses expérimentations électriques de la salle de concert au décor crépusculaire d’un cimetière de voitures, jouant de sa guitare amplifiée au contact des carrosseries empilées, dans la vidéo « 12341 Brandford St, Sun Valley » (2022). À l’étage inférieur, quarante-six micros sur pied sont répartis en trois dispositifs prenant la forme d’un cercle, un carré et un triangle, qui délimitent physiquement et acoustiquement l’espace occupé par trois chanteuses lorsque la pièce est performée. Au sol, les câbles instaurent une composition graphique et spatiale en reflétant la trajectoire de son transmis. Expérience à la fois visuelle, sonore et spatiale, l’installation « Barricade (Rupture) » de Naama Tsabar est aussi une métaphore politique, le micro et la diffusion de la parole étant des instruments de pouvoir et de contrôle. Présenté dans le petit espace à l’arrière, le « Cloud » suspendu de Christina Kubisch, composé de mille deux cents mètres de câble électrique noir, à la fois objet visuel et sculpture sonore, annonce la promenade électrique de Genève qui vient enrichir la série des « Electrical Walks » commencée par l’artiste en 2003, et désormais au nombre de 92.

En ce début d’automne, la Suisse romande semble s’imposer comme la capitale des arts sonores. Alors que la première édition de la Biennale internationale du son bat son plein dans le canton du Valais, KorSonoR convainc à Genève par sa part sensible, invitant à percevoir, à faire l’expérience, à « comprendre comment le son est inhérent au corps humain et à la vie, qu’on l’aborde par le biais du sensible, du social, de l’espace, de l’architecture, de l’urbanisme ou de l’environnement » explique encore Olivier Kaeser. En considérant la pluri- et transdisciplinarité comme un terrain ouvert et multiple, la manifestationoffre la possibilité de se confronter à des expériences artistiques hybrides, se révélant percutantes ou oniriques. La volonté d’inscrire la manifestation dans un écosystème plus large a présidé à l’organisation d’un symposium sur les arts sonores en Suisse. KorSonoR a vocation à habiter le paysage genevois en adoptant un rythme biennal, en alternance avec DFTL. Les deux festivals-expositions sont envisagés comme le socle d’un « centre d’art transdisciplinaire » nomade et unique en Suisse. En espéranto, Arta Sperto signifie « expérience artistique ». 

Naama Tsabar, Barricade (Ruptures), performance, Le Commun. Photo Emmanuelle Bayart / Arta Sperto.

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Head image : Ari Benjamin Meyers, Forecast (LX23), 2023, concert-performance au Grand Théâtre de Genève. Photo Emmanuelle Bayart / Arta Sperto.


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