r e v i e w s

James Turrell

par Vanessa Morisset

It becomes your experience, Musée d’arts de Nantes, 1.06 – 2.09.2018

Voici une bien belle exposition d’été, peut-on se dire en découvrant dans le patio du Musée d’arts de Nantes les installations et autres pièces de James Turrell. Et quel meilleur choix, en effet, si le but est de plaire à tous les publics, que les œuvres d’un artiste ne requérant aucune connaissance au préalable pour être appréciées.

L’exposition présente principalement deux constructions conçues pour offrir une expérience tactile et visuelle, des espaces dans lesquels on pénètre dans le noir pour parvenir peu à peu, en s’approchant à tâtons et en s’habituant à l’obscurité, à la perception d’une surface colorée. La plus monumentale des deux œuvres, Cherry (1998), un vaste espace cubique dans lequel est construit un cheminement menant à une zone centrale, soit une sorte de black cube, recèle en son sein quelque chose d’un rouge profond, un tableau, une peinture, une projection, difficile à dire avant de se sentir parfaitement à l’aise et d’avancer au plus près de ce qui s’avère être un mur peint en retrait, vu à travers une ouverture. Ainsi on peut même plonger ses mains ou sa tête dans la couleur. Expérience poétique, magique, séduisante, certes… Mais quoi dire d’autre ? Justement rien. Car qu’y a-t-il au-delà de cette expérience que l’on s’approprie — comme le suggère le titre de l’exposition— le temps de la visite ? Être épaté ou au contraire se promettre qu’on ne fera jamais de spéléologie ? L’apport de l’œuvre s’arrête là. Il en va de même avec la seconde construction, Awakening, réalisée huit ans plus tard, de dimensions un peu plus modestes et qui fonctionne quant à elle avec une projection de couleurs moirées changeantes. On en ressort séduit mais inchangé, en rien déplacé ni transformé. Peut-être que ce n’est pas grave et qu’une œuvre n’est faite que pour passer un bon moment, surtout dans une exposition d’été. Mais peut-être qu’au contraire l’art est ce qui fait qu’on n’est plus le même après avoir vu, entendu, lu… Raison pour laquelle on peut s’interroger sur le choix d’exposer un artiste aussi neutre, sans questionnement politique ou social qui pourrait susciter une réflexion, soulever un débat, attirer l’attention vers un problème actuel. Turrell fait partie de ces artistes américains dont les œuvres se limitent à des considérations esthétiques qui ne dérangent personne, si ce n’est justement ceux qui pensent que l’art doit produire des effets profonds et durables sur la pensée et l’existence. Pénétrer dans ses installations, c’est un peu comme aller voir le dernier Mission impossible — film sorti en août— impressionnant mais sans aucun lien avec une quelconque question d’actualité, politique, sociale ou simplement risquant de « heurter la sensibilité des spectateurs ». Dans les deux cas, l’esthétique est intemporelle et fonctionne avec de bonnes recettes apolitiques.

Cette critique, ou du moins celle de la limitation de l’œuvre à l’immédiateté de sa réception, a été devancée par les commissaires de l’exposition qui ont entouré les deux constructions de Turrell d’œuvres sur papier, de photographies et même de quelques sculptures qui, ensemble, jalonnent son parcours. Est notamment présentée une série de pièces relatives au Roden Crater, ce volcan éteint que l’artiste a découvert en 1974 en survolant l’Arizona en avion et acheté en 1977 pour le transformer en un atelier-œuvre gigantesque. Au milieu d’une portion de désert désormais privatisée, à laquelle seuls les happy few invités ont accès, ce lieu transformé pour l’observation et la contemplation du ciel, avec des dédales et des chambres souterraines, a inspiré à l’artiste de grands dessins à la cire sur photo qui documentent son projet tout en constituant des pièces autonomes. Cependant, détail qui contrarie encore la visite de l’exposition, toutes ces œuvres proviennent de la galerie Almine Rech ou de la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, c’est-à-dire de la même Almine Rech et de son mari Bernard Picasso. Une exposition dans une institution publique peut-elle à ce point être la vitrine des activités d’une galeriste ? En somme, le choix d’exposer Turrell ici est celui du spectaculaire et de la fréquentation, avec certes l’accès à des œuvres historiques d’un artiste bien identifié dans l’histoire de l’art, mais sans prise de risque. En contraste, sur le parvis du musée, Laurent Tixador a été invité à proposer une œuvre dans un petit espace en forme de vitrine. Il y a réalisé un potager urbain qui fonctionne en circuit fermé avec des éléments recyclés, y compris les plantes, dans une logique de conditions de survie. La poétique de la robinsonnade et l’engagement dans la recherche de solutions écologiques sont réunis dans cette installation qui, tout en présentant un caractère ludique et esthétique — on observe avec attention la structure et la tuyauterie en essayant de suivre le cheminement et les échanges de flux qui nourrissent le vivant — donne un autre accès au réel.


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