r e v i e w s

Gontierama

par Vanessa Morisset

Le Carré, Scène nationale – Centre d’art contemporain d’intérêt national et le Pays de Château-Gontier, 26.05 – 26.08.2018

Ne serait-ce que son nom, manifestant une ambition aussitôt rattrapée par l’autodérision, donne envie d’aller voir du côté de Gontierama, deuxième édition d’un parcours d’expositions et d’œuvres dans la ville de Château-Gontier, au bord de la Mayenne. Sorte de mini-biennale, loin des circuits du grand tourisme artistique mais au cœur d’un réseau d’artistes et d’initiatives riche, sa programmation est assurée par Le Carré qui a investi plusieurs lieux, entre autres chapelle, espace public et médiathèque, et invité cinq artistes dont deux pour une exposition monographique.

L’une d’elle n’est rien de moins qu’une petite rétrospective de ce collectif qui a sauvé l’art français des Garouste et autres néo-pompiers des années 1980 : Présence Panchounette. Installée dans les salles du musée d’Art et d’Histoire de Château-Gontier, un hôtel particulier de l’époque classique, et mêlée aux œuvres de la collection, la vingtaine de pièces réalisées entre 1977 et 1990 donne la mesure de la drôlerie de ce travail, derrière laquelle se profilent des questions du reste tout à fait sérieuses. Outre celle des honneurs artistiques évoquée par l’ensemble de Coupes trophées (1989) — dont celle portant l’inscription « Pour leur 20e anniversaire. Le milieu de l’art reconnaissant. 1969-1989 »— et celle de la mystification du génie artistique avec la sculpture intitulée La Bonne peinture sera couleur muraille (1977) — où un lé de papier peint au motif de briques grises sort d’une machine à écrire —, sont aussi abordés des problèmes moins remarqués à l’époque mais qui ont toute leur acuité aujourd’hui. La présence d’animaux et la dénonciation de leur réification par la société du spectacle est particulièrement remarquable. Ainsi, Le Béguin de Clarence (1984), un tapis orné de lions dont les yeux ont été remplacés par des lumières rouges, évoque un lion de cinéma qu’on affublait de lunettes. Mais sont aussi amenés à être reconsidérés les pigeons de Venise, avec la sculpture Pigeons au Chianti (1984), ou encore l’escargot, réhabilité comme modèle artistique à travers une pièce en bois de source populaire intitulée Un artiste pressé est un artiste mort (1985). Par conséquent, même en connaissant l’œuvre du collectif, on en redécouvre des aspects méconnus, convaincus par la manière dont ce travail a traversé les années. Dans le cadre du musée de Château-Gontier, confrontées aux pièces de la collection, elles se fondent dans le contexte un peu kitsch des vitrines et des dorures, tout en conservant, avec leurs couleurs, leur ironie et leur pertinence, une fraîcheur surprenante.

À l’autre bout de la ville, une autre exposition, elle aussi consistant en une petite rétrospective bien que centrée sur un artiste actuel, n’est pas sans lien avec celle de Présence Panchounette. On y retrouve des œuvres composées d’objets du quotidien, d’une inventivité spontanée, avec des titres drôles et suggestifs. C’est à la Chapelle du Genêteil, bâtisse romane et lieu d’exposition attitré du Carré, que Stéphane Vigny a installé sur une grande table de banquet une cinquantaine de ses pièces réalisées ces dix dernières années. On pense alors immanquablement à la beauté des rencontres sur la table (de dissection) de Lautréamont, car les objets sont présentés à la fois individuellement et les uns en regard des autres, provoquant des télescopages insolites qui font naître des significations nouvelles. Ainsi une litière de chat surmontée d’une construction en bois peint devient un palais italien miniature et, dans l’installation, alignée avec d’autres pièces, un arc de triomphe dans une perspective élyséenne ! Plus loin, on trouve des Monuments aux chips mortes (2015) qui font remarquer le jeu d’échelles omniprésent ici, parce qu’au-delà d’être réellement des sculptures avec chips et socles, leur forme rappelle Brancusi et on se demande même, dans un instant de spéculation fantaisiste, si ce ne sont pas des maquettes pour monuments à la Oldenburg ou des œuvres pour le pays de Downsizing. De même avec une chaise romane en béton, mise en abîme avec l’architecture du lieu grâce à la voûte en plein cintre et la croisée d’ogive de sa partie basse. Au final, les objets composent un univers festif qui rappelle un esprit de ripaille rabelaisien ayant perduré jusqu’à aujourd’hui, avec quelques piques et allusions politiques — un jambon semble faire un ridicule salut fasciste— plaidant pour l’inventivité personnelle, le bricolage et le recyclage. En outre, Stéphane Vigny a reconstruit sur les bords de la Mayenne son Château de tôle (2011) qui, lui aussi, explore l’effet produit par les changements d’échelle et le recours à des matériaux prosaïques pour des réalisations ambitieuses.

Gontierama présente encore, dans la médiathèque municipale, les avocatiers que Michel Blazy fait pousser depuis vingt ans à partir de noyaux de fruits du commerce, dans un geste poétique de générosité à l’égard de ces misérables plantes industrialisées, ainsi que des sculptures récentes de Laurent Le Deunff, elles aussi réalisées à partir de végétaux industrialisés tels que les sapins de Noël. Enfin, dans la chapelle attenante à l’office du tourisme, est projeté La Source de la Mayenne (2017-18) de Marcel Dinahet, film tourné à une centaine de kilomètres de là, dans une esthétique alternant séquences avec caméra portée à ras du sol et plans fixes méditatifs sur l’eau qui rappellent justement que, dans cette programmation, la nature n’est jamais loin.

(Image en  une : Présence Panchounette, Gontierama 2018. Photo : Marc Domage.)


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