r e v i e w s

Gontierama 2020

par Vanessa Morisset

Château-Gontier, 16.05 – 30.08.2020

Désormais le rendez-vous est fixé, tous les deux ans a lieu dans la ville de Château-Gontier une petite biennale, ni prétentieuse ni soûlante, festive et intelligente (enthousiasmante sans être, bêtement, ludique), donc très réussie, dotée d’un nom et d’un logo à son image. C’est Gontierama qui, avec sa deuxième édition, maintenue contrairement à d’autres manifestions dans la région, confirme son état d’esprit et sa spécificité. Les expositions y sont très justement pensées par rapport aux lieux investis (chapelle, bibliothèque…) et les accrochages, remarquables. De surcroît, elle réunit des artistes de différentes générations (et pas seulement les dernières révélations à peine sorties des écoles d’art) qui entrent en dialogue, entre elles et avec la ville.  

À la Chapelle du Genêteil, cette caractéristique est, en un sens, le sujet de l’exposition. Trois femmes y sont rassemblées, à l’initiative de Stéphanie Cherpin qui a convié une plus jeune artiste qu’elle, Jeanne Moynot, et une artiste d’une toute autre époque, son arrière-arrière grand-mère, Marie Pincour (née en 1876), peintre passionnée durant les dix dernières années de sa vie, dont l’œuvre se trouve ainsi propulsée dans le contexte de l’art actuel. Émouvant et délicat, ce geste opère une relecture d’une pratique qui a certainement dû être qualifiée de peinture du dimanche, Marie Pincour travaillant surtout les motifs floraux: sur la cimaise placée à l’entrée de la chapelle, elle se laisse découvrir comme une recherche sérielle acharnée, à la fois sensuelle et conceptuelle. Avec ce bel hommage, Stéphanie Cherpin attire l’attention sur des questions qui parcourent Gontierama 2020 : celle de la pertinence ou non de la frontière entre pratique amateur et pratique professionnelle dans le domaine de l’art, mais aussi celle de la place des femmes artistes dont l’activité, il n’y a encore pas si longtemps, était plus considérée comme un passe-temps que comme une réelle démarche réfléchie. Ne serait-ce que pour cette raison, l’exposition vaut le déplacement, c’est-à-dire avant même d’entrer à proprement dit dans la chapelle… Car ce n’est que dans un second temps que l’on découvre, derrière la cimaise, la suite de l’exposition. Tout d’abord, une installation de Stéphanie Cherpin réalisée avec des éléments majoritairement trouvés à Château-Gontier (pare-brise de voitures peints — notamment un en rose bonbon —, agave tronçonnée par un propriétaire qui n’en voulait plus et à laquelle l’artiste offre une seconde vie…) compose comme un plateau de cinéma momentanément abandonné, puis, dans le fond de la chapelle, une pièce, à la fois sculpture, peinture et vitrail rétro-éclairé de Jeanne Moynot rappelle les œuvres niçoises de Matisse, de Chagall, que l’artiste a pu voir durant son cursus à la Villa Arson, mais dans une structure monumentale faite de bois et de bâches plastique qui donne aux formes et aux couleurs une vigueur nouvelle. Aussi bien l’œuvre de Stéphanie Cherpin que celle de Jeanne Moynot expriment une puissance et une détermination que relaient bien le titre qu’elles ont choisi pour l’exposition : Élevée en bouclier. Par des moyens sensibles et maîtrisés, elles parviennent à créer un ensemble beau, puissant et sans concession, entraînant l’arrière-arrière-grand-mère dans l’affirmation de leur art. 

Juste à côté de la chapelle, dans une salle gothique du Couvent des Ursulines, une œuvre de Pascal Rivet vient renchérir à sa manière sur la problématique de la pratique amateur. Fox, un ensemble de six sculptures en bois peint constitue une imitation très fidèle des mobylettes de livraison Domino’s Pizza, installées en rang serré, comme si elles allaient presque tomber (un effet domino, précisément). D’apparence pop à cause des couleurs vives et du logo de la marque de pizza, en réalité artisanales, à la limite de l’obsession de l’art brut, elles peuvent être perçues comme une métaphore de l’absurdité du train de vie capitaliste (comme si le Charlot des Temps modernes était maintenant livreur de pizza).

Plus loin en ville, au Musée d’art et d’histoire où, dans l’édition précédente, des œuvres de Présence Panchounette se mêlaient avec grand bonheur aux collections patrimoniales, ce sont deux artistes trop peu montrés qui ont été invités, Michel Gouéry et Didier Trénet. Tandis que le premier y présente sculptures en céramique et dessins, le second y expose une série d’assiettes et de plateaux décorés réalisés dans le cadre d’un 1% artistique pour un collège joliment intitulée Sous la purée le dessin. Dans la salle des peintures historiques, on les découvre dans une vitrine, avec entre autres un petit véhicule en céramique de Michel Gouéry et une paire de sabots traditionnel en bois ornés de la virgule Nike de François Curlet, dans une atmosphère de cabinet de curiosités où l’art et l’artisanat sont sur un pied d’égalité. Cette fois encore, le choix des œuvres et leur accrochage sont des plus pertinents. Les œuvres contemporaines valorisent les pièces anciennes, et réciproquement. Plus encore, à quelques pas de là, Michel Gouéry s’est aussi installé dans la crypte de l’église romane Saint-Jean-Baptiste pour laquelle il a tout spécialement créé quatre pièces en terre cuite émaillée qui viennent s’accrocher, tels des monstres assez gentils, des larves affectueuses ou des chenilles dociles, aux piliers composites de l’architecture médiévale. On pense ainsi à tout un imaginaire de chimères, d’êtres hybrides, réactualisé. 

Enfin, dans la bibliothèque, ainsi qu’en ville, des œuvres de Jacques Julien, de Lilian Bourgeat, prolongent encore ce riche parcours, sans oublier la distribution par la poste, à tous les habitant·e·s alentour, d’un catalogue de photos de Guillaume Janot prises à Château-Gontier lors d’une résidence. 

Toutes ces propositions témoignent d’une grande envie de faire découvrir, en résonance avec les lieux, des œuvres sensibles et pertinentes, tout simplement. 

Image en une : Pascal Rivet, Fox, 2003. Gontierama 2020, Le Carré, Scène nationale – Centre d’art contemporain d’intérêt national du Pays de Château-Gontier. Photo : © Marc Domage