Gianni Pettena au Crac Occitanie
Gianni Pettena, Anarchitecture, commissariat : Marie Cozette
Centre régional d’art contemporain Occitanie, Sète. 10 février – 1er septembre 2024.
Figure centrale de l’architecture radicale italienne, Gianni Pettena se définit lui-même comme « anarchitecte » dans son texte manifeste1 de 1973. Le parti pris de l’exposition que lui consacre tout l’été le Crac Occitanie à Sète est d’éviter les archives, ou du moins d’en montrer très peu, au profit d’une présentation d’œuvres à activer, à l’image de celle qui ouvre le parcours, Tunnel Sonoro qui, bien qu’elle soit l’une des premières œuvres imaginées par Pettena en 1966, n’avait jusque-là jamais été produite ni activée. L’œuvre est composée d’une série de cadres métalliques qui sont posés au sol et forment un tunnel qui se resserre progressivement mais que l’on peut pénétrer, et d’un costume d’écailles de métal pouvant transformer le corps en instrument de musique s’il effleure les bords extérieurs du tunnel ou le traverse. L’esthétique de cette œuvre performative renvoie formellement à l’art minimal.
Gianni Pennetta appartient à la même génération qu’UFO, Archigram, Archizoom, Ettore Sottsass ou encore Andrea Branzi. Ils vont, de 1965 à 1975, développer à Florence un courant contestataire appelé « architecture radicale », terme forgé par le critique d’art Germano Celant. Archipensiero, impressionnante anamorphose dont la structure en bois est recouverte de raphia naturel, évoquant la relation de l’homme à la nature, occupe la totalité de la deuxième salle. L’œil, en se déplaçant, recrée l’architecture classique d’un temple grec, avec fronton triangulaire et colonnes, dans laquelle le visiteur peut s’immerger.
Trois œuvres emplissent l’espace suivant. Elles entrent en dialogue avec les formes les plus élémentaires, tels l’angle ou le mur, à l’image de Breathing architecture, un décollement de la surface du mur comme si celui-ci respirait, ou Human wall, qui fait référence au Land Art, un mur de terre glaise recouvert de la trace des mains qui l’ont façonné, sorte de fusion du corps et de l’architecture comme si cette dernière devenait elle-même un corps vivant et respirant. Cette trace d’un corps à la fois absent et présent revient à plusieurs reprises dans l’exposition. C’est le cas de Presenza/Assenza (2020), la sculpture la plus récente de l’artiste. Cette commande pour le site archéologique de Pompéi donne à voir un corps assis dans un angle, figuré en creux, souvenir de son ami disparu, l’architecte autrichien Walter Pichler (1936-2012). « Cette sculpture peut tout aussi bien être la trace du corps de l’artiste, réceptacle de sa mémoire dans l’épaisseur de toute une vie »,explique Marie Cozette, directrice du Crac Occitanie et commissaire de l’exposition. L’œuvre fait la synthèse entre le rapport au corps et la question de la mémoire. La présence en creux des corps se retrouve dans Wearable chairs, performance réalisée en 1971 à Minneapolis dans laquelle dix étudiants ont parcouru la ville en file indienne avec des chaises portables harnachées dans le dos, les utilisant pour s’asseoir dans le bus ou dans un square. Sept chaises suspendues et neuf photographies d’archive témoignent de cette performance où le corps active et donne sa signification à l’objet. L’ensemble renvoie au nomadisme, à l’impermanence, deux thèmes chers à l’architecte. Cette recherche de quelque chose qui permet de se déplacer est au centre d’Ombra : entre meubles et tissus, trois exemplaires du manteau noir iconique de Pettena cachent un dispositif d’assises pliables. L’installation est accompagnée d’une vidéo de l’artiste en train de performer avec le costume-chaise.
Paper (Midwestern Ocean) est une performance qui, comme Wearable chairs, est issue d’un cours donné par Pettena au College of Art and Design de Minneapolis où il est professeur invité au début des années soixante-dix, et remettait en question l’autorité de l’enseignant. Avec ses étudiants, il remplit la salle de lecture de la bibliothèque avec des rames de papier provenant de chutes de journaux. Chaque étudiant, muni d’une paire de ciseaux, pouvait se créer son propre itinéraire. En 1971, ils se rejoignaient au centre de la salle de lecture où Gianni Pettena prononçait une conférence. La dimension du jeu est très importante chez l’artiste. À l’étage, deux salles présentent un ensemble d’œuvres vidéo offrant un aperçu de sa pratique depuis ses débuts, en 1967, jusqu’à aujourd’hui. De son premier film – The Pig (Carosello italiano) dont le montage est rythmé d’images d’archives ou d’images tournées par lui-même – à l’œuvre Architecture + nature (2011) – qui procède à la dissolution de l’architecture en la fusionnant avec un élément naturel –, Pettena affirme une approche expérimentale du travail du son et de l’image.
Gianni Pettena est un architecte sans construction, un artiste sans objet. « J’ai une attitude d’artiste, mais j’ai eu une formation d’architecte. Je parle toujours d’architecture, mais avec des instruments qui proviennent de l’art, ce qui suscite un intérêt dans des générations d’artistes et d’architectes2 », explique-t-il. Sur la façade du Crac Occitanie, comme un écho formel à Paper (Midwestern Ocean), l’installation Forgiving architecture composée de bandes blanches qui s’animent avec le vent, donne l’impression de mettre le bâtiment en mouvement, allant à l’encontre d’une architecture statique et séculaire. Pettena est un architecte sans architecture, qui n’a pourtant jamais cessé d’en interroger les fondements. « Savoir ne pas construire dans le cas de Gianni Pettena c’est ne pas vouloir subir et faire subir afin de bâtir un regard et une pensée tour à tour lucide et rêveuse3 » écrit l’artiste et designer Dominique Mathieu. Pettena rappelle que l’architecture est avant tout un langage.
Deuxième volet de l’exposition au Frac Centre-Val de Loire
- Gianni Pettena, L’Anarchitetto. Portrait of the artist as a young architect, Rimini, Guaraldi, 1973
- Luisa Gastiglioni, « Entretien avec Gianni Penetta », Penser faire & faire : penser Global Tools aujourd’hui, Institut supérieur des arts et du design, Toulouse, 2022.
- Dominique Mathieu, Le permis de penser, texte accompagnant l’exposition éponyme de Gianni Pettena à la galerie Salle Principale à Paris du 3 mars au 12 mai 2018.
Head image : Vue de l’exposition « Anarchitecture » de Gianni Pettena, Crac Occitanie – Sète, 2024.
Tunnel sonoro, 1966-2024. Structure en acier. Production Crac Occitanie.
Courtesy de l’artiste et Galerie Salle Principale, Paris. Photo : Aurélien Mole.
- Publié dans le numéro : 109
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- Du même auteur : Rafaela Lopez au Forum Meyrin, Banks Violette au BPS 22, Charleroi , Pierrick Sorin au Musée d’arts de Nantes, Yoshitoro Nara au Guggenheim de Bilbao, Echos der Bruderländer at HKW, Berlin,
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